La présentation de rapports d’information au sein de la commission de la Défense nationale, à l’Assemblée nationale, se fait généralement dans la sérénité et le calme. Les rapporteurs exposent le fruit de leurs travaux et répondent à leurs collègues sur des points particuliers.
Mais, la séance du 27 mars a été pour le moins… agitée. Ce jour-là, les députés Christophe Lejeune [La République en Marche, LReM] et Bastien Lachaud [la France insoumise, LFI] ont évoqué leur rapport d’information sur l’évaluation des dispositifs de lutte contre les discriminations au sein des forces armées.
Avant d’aller plus loin, il faut savoir que, au sein des armées, chaque arme ou spécialité a un « saint patron » [ou une « sainte-patronne »] dont la fête donne lieu, chaque année, à une journée de cohésion. Ainsi, par exemple, les parachutistes fêtent la Saint-Michel tandis que Sapeurs et Artilleurs se retrouvent autour de la « Sainte-Barbe » et que les mécaniciens célèbrent la Saint-Eloi. La Saint-Georges est incontournable pour les cavaliers, comme la Saint-Maurice l’est aussi pour les fantassins. Lors de ces journées, et puisqu’il est fait référence à des saints de l’Église catholique, une messe est proposée [et non pas imposée].
Or, c’est en abordant cette question que le député Bastien Lachaud a allumé la mèche et suscité le courroux de certains de ses collègues.
« En premier lieu, nous croyons utiles de veiller à un strict respect de la neutralité. La laïcité et la neutralité prémunissent de tout mélange des genres préjudiciable à la cohésion. La chance des militaires, c’est précisément de pouvoir s’appuyer sur des règles déontologiques et une discipline éprouvée », a commencé par affirmer le parlementaire. Puis d’ajouter : « Une meilleure séparation entre les activités religieuses et les activités de cohésion doit notamment être assurée. Les moyens généraux sont en effet trop souvent utilisés pour envoyer des invitations à des cérémonies catholiques. »
Et, en déplorant que « les hommages militaires sont trop souvent rendus à l’occasion de cérémonies religieuses », d’insister : « Il n’est pas rare que le courriel d’invitation à la messe en l’honneur du saint-patron soit envoyé depuis la boîte courriel de l’unité ou depuis celle du commandant » et que « dans les écoles, certaines activités sont organisées de telle sorte que le moment religieux revêt un caractère quasiment incontournable. »
Sur ce point, M. Lachaud a visé particulièrement les traditions de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. « On peut citer aussi la journée de cohésion, organisée au Mont Saint-Michel par les saint-cyriens, et qui donne lieu à un baptême du sabre ou du casoar. Dans une telle journée, dont l’acmé est manifestement cette cérémonie, on peut s’interroger sur la possibilité de s’éclipser pour manifester sa différence. Autre incongruité : la participation des saint-cyriens à une cérémonie d’accueil de l’anneau supposé de Jeanne d’Arc au Puy-du-Fou! ».
La charge du député « insoumis » ne s’est pas arrêtée là. « D’autres pratiques comme la bénédiction de régiments entiers, de bateaux ou d’aéronefs doivent être proscrites. Toutes ces maladresses créent un environnement que les militaires d’autres religions, ou ceux qui ne croient pas, peuvent ressentir comme inhospitalier et excluant », a-t-il dénoncé. Et ses propos ont été émaillés par les exclamations de ses collègues.
Visiblement, beaucoup d’entre eux ont du mal à les avaler. « J’hésite à m’exprimer car certains propos m’ont profondément révoltée. […]Chacun d’entre nous a ses valeurs et je préfère ne pas poursuivre car je ne cautionne vraiment pas tout ce qui a été dit. Chacun est libre de se positionner comme il l’entend », a réagi la députée [LReM] Aude Bono-Vandorme, qui a été choquée par l’expression « frisson de militarité » utilisée par M. Lachaud au sujet des élèves du lycée de Saint-Cyr l’École.
Le député [LR] Laurent Furst s’est dit « choqué » par « certaines expressions la militarité et la religion. » Et d’ajouter : « C’est la première fois au cours de mes huit années à l’Assemblée nationale que je me sens mal à l’aise. Je refuse donc de m’exprimer sur le sujet. » Membre du même groupe que ce dernier, Jean-Louis Thiériot s’est fait pédagogue.
« Quand nos régiments fêtent la Sainte-Barbe, la Sainte-Geneviève, la Saint-Michel ou la Saint-Georges, c’est un corps qui se réunit autour d’une tradition. Puisque ce sont mille ans d’histoire française, il se tient effectivement une cérémonie religieuse à laquelle personne n’est obligé d’aller […] mais qui fait partie d’un corpus de traditions », a ainsi rappelé le député.
« Nous avons des régiments qui, en raison de leur histoire, portent sur leurs fanions et leurs drapeaux des insignes musulmans. Je pense au 1er Régiment de Spahis et au Régiment d’Infanterie Chars de Marine, qui portent l’étoile chérifienne, mais aussi au 19e régiment du génie qui porte le croissant musulman sur ses insignes – et la totalité de ce régiment se reconnaît dans ce qui fonde l’esprit de corps et l’unité d’un outil de combat. Le gros problème, c’est que vous avez confondu le cultuel et le culturel. Battons-nous contre les discriminations mais ne nous trompons pas de combat! », a poursuivi M. Thiérot.
Député du Rassemblement nationale, Louis Alliot a vu dans les propos de M. Lachaud une « remise en cause des saints patrons de nos régiments. » [ce que l’intéressé a démenti lors de la séance]. Et, pour l’élu des Pyrénées-Orientales, si « ces fêtes peuvent en heurter certains, […] c’est que la mentalité française a bien changé, s’agissant y compris de la défense de la Nation par son armée. »
« Il est très maladroit d’avoir voulu présenter des traditions telles que la référence aux saints patrons comme la manifestation possible d’une discrimination », a, pour sa part, réagi le député [LR] Charles de la Verpillière.
Dans les rangs du groupe LReM, et outre la réaction de Mme Bono-Vandorme, le député Jean-Michel Jacques, a fait part de son expérience. « Vous avez évoqué la tradition des saints patrons. Ayant fait une carrière militaire de vingt-quatre années, j’ai fait vingt-deux Saint-Michel et jamais je n’ai reçu l’ordre d’aller à une messe. Il est évident que c’est le commandant de l’unité qui donne l’ordre d’organiser cette cérémonie d’une demi-journée car c’est un moment de cohésion important mais la messe est toujours facultative. Si vous en parlez, c’est qu’un problème a dû se poser mais il doit être très marginal et inhabituel. Pour moi, comme pour tous les soldats, il n’y a dans l’armée française que trois couleurs : le bleu, le blanc et le rouge! », a-t-il dit.
Député du Tarn et proche du 8e RPIMa, le député Philippe Folliot a estimé qu’il est « des traditions dans notre armée qu’il ne faut pas confondre avec un quelconque prosélytisme » et « l’esprit de corps est un élément fondamental » qui « se bâtit notamment sur le respect des traditions. » Et de poursuivre : « Aucun régiment [de la 11e brigade parachutiste, ndlr] ne peut se considérer comme tel s’il ne se réunit pas pour la fête de Saint-Michel ou ne commémore pas la bataille de Bazeilles. Dès lors, ne confondons pas religion et tradition, bien que des pratiques puissent heurter certaines personnes. »
Enfin, c’est le député Olivier Becht [UDI/Agir] qui a résumé probablement le mieux les enjeux que peut avoir cette question des traditions au sein des armées.
« La tradition est une mémoire mais aussi ce qui permet de souder le collectif. Or le collectif fait la victoire, à l’armée comme ailleurs. Nous devons donc faire en sorte qu’au nom de l’histoire de la France, mais aussi au nom de l’héritage de sa géographie, ces traditions puissent demeurer, sans qu’il y ait de procès d’intention fait aux armées lorsqu’elles mettent en place ses traditions », a fait valoir le parlementaire.
Laurent LAGNEAU
Opex360
29 mars 2019
Avis du président de l’ASAF
En lisant les extraits donnés dans cet article et en attendant la parution du rapport écrit, on ne peut être que consternés que des députés de la commission de la Défense, qui devraient concentrer leurs efforts à étudier comment renforcer notre Défense et les capacités de nos armées, découvrent et dénoncent la place qu’occupent les saints patrons au sein des armées. C’est ignorer l’importance que revêt l’esprit de corps au combat et qui est fondé pour une large part sur le culte des valeurs et des traditions.
Supprimez la saint Michel et vous aurez la révolution chez les parachutistes des trois armées…
C’est notamment en tenant de tels propos que la Commission de la Défense et plus généralement les parlementaires, se discréditent non seulement auprès des armées mais également auprès de l’immense majorité des Français qui aiment et font confiance à leur armée.
Henri PINARD LEGRY
Président de l’ASAF
Photo : Saint-Georges terrassant le dragon. « Sa valeur militaire et son héroïsme en font très tôt un saint vénéré par les soldats et les cavaliers pour l’idéal chevaleresque qu’il incarne »… Via Arquus