Le militantisme de progrès, celui qui pratique la vigilance démocratique tout en prônant l’ouverture à l’autre, n’est pas seulement une vocation à plein temps, mais également un métier à hauts risques. Exemple du jour ? Act Up, dont les instances dirigeantes viennent de démissionner en bloc ce samedi dernier.
La raison d’un tel chambardement ? Le succès d’un film. Pas un de ceux où les super-héros ont coutume d’enfiler leurs super-slips par-dessus leurs super-pantalons, mais celui de Robin Campillo, 120 battements par minute, six fois césarisé lors de la récente cérémonie éponyme. En bonne logique, le bon sens le plus élémentaire aurait conduit l’état-major de cette association à sortir le champagne. Eh bien, non, pour cause de jeunes générations montantes et pas toujours respectueuses de leurs aînés. Comme quoi, le respect des valeurs partout se perd.
Ainsi, Rémy Hamai, Mikaël Zenouda et Xavier Cœur-Jolly, respectivement ex-coprésidents et ancien vice-président, déplorent que « de jeunes militants déjà politisés et expérimentés dans d’autres luttes, notamment antiracistes » puissent « détourner et exploiter l’outil d’Act Up, en se servant de son historique, pour mettre en avant d’autres luttes ».
Sublime ironie de l’histoire, sachant que de semblables griefs avaient été jadis adressés à Didier Lestrade, fondateur historique de cette association dont la raison d’être, prophylactique à l’origine, avait été détournée pour tôt embrasser ce qu’il est désormais convenu de surnommer la « convergence des luttes », happenings télégéniques à l’appui : l’obélisque de la Concorde enveloppée d’une capote, ce qui était aussi émouvant qu’un homard gonflable de Jeff Koons exposé au château de Versailles.
Le phénomène ne date pas d’hier : n’étions-nous pas tous censés être des « Juifs allemands », il y a de cela cinquante ans, en plein Mai 68 ? La liste des courses n’a, depuis, cessé de s’allonger. De la « lutte » du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) à celle des LGBTQ ; en attendant le collectif AZERTY ? Sans oublier le fumeux concept de « l’homophobie » en particulier, et de la « phobie » en général, moulins à prières aujourd’hui déclinés à l’infini, de « l’islamophobie » à « l’hispanophobie » chère à Anne Hidalgo, maire de Paris, ville dont on ne saurait plus chanter, comme naguère, qu’elle est une « blonde ».
Glissement sémantique dont la finalité est aussi à vocation judiciaire, la « phobie » en question – soit la « peur », si l’on en croit l’étymologie de ce vocable – étant désormais susceptible de vous faire traîner devant les tribunaux pour incitation à la « haine », soit deux concepts n’ayant strictement rien à voir l’un avec l’autre, mais permettant d’englober rétifs aux progrès sociétaux et sceptiques de tous bords quant à l’incessante apparition de nouveaux « droits » dans le même panier à salade.
De plus, cette « haine » se voit maintenant affublée de l’épithète « raciale », ce qui nous amène encore plus loin dans les limbes sémantiques ; être homosexuel ou immigré clandestin, handicapé ou chômeur en fin de droits, musulman ou transgenre ne relevant en rien de cette question « raciale » brandie à tous propos. Surtout lorsque les mêmes nous assurent que les « races » n’existent pas.
Mais quand les vannes de la dinguerie sont grandes ouvertes, comment s’étonner qu’elles puissent submerger ceux-là mêmes qui les ont ouvertes à grande eau ? Tout ça pour dire que les homosexuels, c’était quand même plus simple du temps de Jacques Chazot.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire