Ces très vilains bébés de la Renaissance…

L’enfant, particulièrement Jésus, est souvent représenté comme un vieux. Les autres sont parfois peints dans des scènes de débauche surprenantes.

Dans les multiples représentations de la Vierge à l’Enfant à travers l’histoire de l’art, le bébé Jésus est rarement un charmant nourrisson joufflu et rose. Particulièrement au Moyen Age, il ressemble plutôt à un petit adulte grisâtre et sérieux.

Depuis trois ans, deux amateurs recensent méticuleusement les bébés les plus étranges, laids ou comiques de la peinture occidentale dans le Tumblr Ugly Renaissance Babies («bébés moches de la Renaissance», même si la période historique prise en compte est en fait plus vaste).

Un travail de recherche qui est pris très au sérieux dans l’excellent site WTF Art History, où sont cataloguées de nombreuses productions artistiques intrigantes,

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du Cupidon urinant sur Venus (de Lorenzo Lotto)

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à un Jésus qui semble faire un doigt d’honneur au spectateur (d’Albrecht Dürer).

Si Jésus est représenté comme un adulte en miniature dans les tableaux du Moyen Age, c’est parce que les peintres de l’époque tenaient à indiquer sa sagesse précoce.

«L’Enfant a fréquemment une tête d’adulte (avec le début de calvitie de l’homme fait), parce qu’il est un puer senex, un enfant vieillard, manière imagée de figurer qu’il est bien la Sagesse de Dieu», écrit l’historienne Marie-France Morel dans un article sur la représentation du corps des jeunes enfants.

Deux exemples de ces bébés vieux:

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A la fin du Moyen Age, les petits sur les genoux des madones commencent à avoir des corps d’enfants plus réalistes, souvent potelés, parfois frôlant l’obésité, comme dans ce tableau de Filippo Lippi:

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Marie-France Morel explique que les bébés des peintres italiens sont en général plus grassouillets que ceux des maîtres d’Europe du Nord, à la fois pour des raisons de préférences esthétiques, mais peut-être à cause de l’influence du climat sur la santé des petits.

Les plus minces ne sont pas nécessairement plus gracieux, comme dans ce tableau d’un peintre allemand du XVe siècle. On retrouve aussi un détail anatomique étrange qui revient souvent dans ce type d’œuvre: les seins de la Vierge, qui allaite, sont placés extrêmement haut, juste au bas du cou.

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Plus étonnant encore, plusieurs peintures représentent des petits Jésus dotés de musculatures imposantes, avec abdominaux ciselés et cuisses d’athlètes.

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Parfois l’approche réaliste donne des résultats non moins effrayants que le symbolisme médiéval, comme ce petit enfant qui hurle:

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Ou cet ange qui pleure:

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Les images de scènes tendres d’amour familial viendront plus tard. Jusqu’au XVIIIe siècle environ, les enfants ne sont pas considérés comme de petits êtres adorables et intéressants. Une conception négative de la petite enfance était commune, comme l’indique Marie-France Morel, qui cite La Bruyère:

«Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux,
volages…»
 (La liste continue assez longtemps.)

Explorer ces catalogues de bébés inquiétants, c’est aussi découvrir les peintures de nourrissons morts, une pratique assez courante aux XVIe et XVIIe siècles dans les familles riches d’Europe du Nord et d’Espagne. Marie-France Morel a également écrit sur le sujet:

«On voit que, selon les tableaux, les accessoires ou emblèmes rituels autour du petit mort sont présents ou absents. Cela dépend, semble-t-il, de la sensibilité des familles et de leur éventuelle confession, les catholiques étant plus favorables que les protestants à la présence d’objets symboliques autour du mort.»

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Quand il ne s’agit pas de Jésus ou de nourrissons princiers, les autres bébés sont les fameux putti, ces gros angelots malicieux qui représentent Eros.

On les trouve souvent dans des scènes de débauche, comme dans ce tableau de Nicolas Poussin où ils sont tellement ivres qu’ils s’adonnent à toutes sortes de vices: ils s’embrassent, ils se roulent par terre, ils chevauchent une chèvre et tombent dans une fontaine.

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Ils sont parfois représentés dans des positions encore plus compromettantes, comme dans ce dessin où un «putto» place un soufflet de cheminée dans les fesses de son compagnon.

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A ces créatures espiègles succéderont au XIXe siècle des putti kitsch et sentimentaux. En porcelaine, sur des miroirs ou des lampes en bronze, ces gros poupons décoratifs et mièvres sont devenus des symboles de mauvais goût.

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