Nouvelle / C’est moche chez les gens

estompe.fr

Gaëlle Chamarande

Y’ a pas de livres, pas de cassettes, pas d’histoires, aucune trace d’un passé rassurant ou déstabilisant, pas d’âme, pas de références, un lieu neutre, un lieu qui ne prend surtout pas de risques, un lieu qui a l’air de dire : « Attention : vous ne saurez pas qui je suis, parce que je ne suis rien ! ».

Le nécessaire : une chaise (pas deux, ça ferait désordre), une étagère avec un dictionnaire –on ne sait jamais, ça peut faire intelligent–, et un vieux nounours jaune offert par la grand’ tante un jour d’anniversaire raté.

On s’assoit sur l’unique chaise ou par terre. On demande à boire quelque chose parce qu’on ne nous le propose pas. On nous sert une vinasse dans un verre de cantine numéro 33 qui nous rappelle les réfectoires et les pommes entamées qui traînent dans la purée.

Y’ a pas de tapis, pas de coussin. Pas de plantes. C’est monacal sans être zen ou mystique, ça sentirait presque l’hôpital si on décidait de se concentrer… On évite.

Y’ a un ordinateur qui trône. Qui ne doit jamais être allumé, qui rappelle simplement qu’on vit avec son temps.

Dans la chambre, y’ a un lit qui prend toute la place, mais dont on sent bien qu’il ne sert pas aux ébats. Un lit frigide. Un lit qui ne sert qu’à dormir, un lit qui respire la nuit transpirante et les odeurs de doigts de pied.

Dans la salle de bain, quelques poils sur le carrelage blanc. On se surprend à penser qu’enfin il y a quelque chose d’humain mais qu’en même temps, c’est dégueulasse. Bien sûr, il n’y a pas de déco, rien au mur, on fait pipi en s’emmerdant. S’il y avait un produit ménager, on lirait au moins l’étiquette et ses propriétés. Mais là rien. Obligé de se concentrer sur soi, ce qui est impudique sur des chiottes !

La cuisine est à l’avenant : elle rappelle la salle de bain. Une casserole en inox avec deux spaghettis qui cohabitent en se demandant pourquoi il n’y a pas de sauce tomate. On ouvre le frigo parce qu’il faut absolument se raccrocher à l’estomac dans ces moment là et ô surprise : un yaourt 0%, de la mayonnaise en tube, et trois Pelforth qui finissent par nous faire de l’œil. On va se les boire, on va revivre, on va respirer, on cherche le décapsuleur… Y’a pas de décapsuleur.

On décide enfin de se jeter par la fenêtre, mais on est au rez-de-chaussée et il donne sur un parking glauque. Alors on quitte les lieux en osant dire : « Merci, c’était sympa ! ».

On rentre chez soi, rassuré de retrouver son petit univers fait de livres et d’affiches, on pénètre dans la cuisine, et là, c’est bizarre, y’a une casserole en inox avec deux spaghettis qui cohabitent… 

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