Grande dame de Lorraine aujourd’hui bien oubliée, madame de Saint-Baslemont (1607-1660) fut une héroïne guerrière à l’instar de Jeanne d’Arc. Née Alberte-Barbe d’Ernécourt, elle épousa à 16 ans, en 1623, Jean-Jacques de Haraucourt, seigneur de Saint-Baslemont, chevalier appartenant à l’une des quatre Grandes Maisons de l’ancienne chevalerie de Lorraine (avec les du Châtelet, Lenoncourt et Lignéville) – les « grands chevaux de Lorraine », ces familles qui, par leur ancienneté, leurs services rendus et le prestige de leurs alliances, représentaient le sommet de la hiérarchie sociale de la Lorraine ducale.
8705-p5-livr-arbitre-couvDurant la guerre de Trente Ans, contrairement à son épouse qui resta fidèle au roi de France, il s’engagea militairement aux côtés de Charles IV, duc de Lorraine, et perdit la vie en 1644 lors d’une bataille à Mérode, en Rhénanie. Son épouse mit à profit les connaissances militaires que son père lui avait données afin de protéger ses gens contre la soldatesque de tous pays – notamment française, suédoise et croate – qui ravagea la Lorraine au cours de la période française (1635-1648) de la funeste guerre de Trente Ans pour cette terre d’entre-deux. Tandis que son mari combattait en Allemagne aux côtés du duc de Lorraine, elle résidait sur ses terres de Neuville-en-Verdunois à la manière d’un homme, portant des habits masculins, montant à cheval, tirant l’épée, dirigeant son monde et ses affaires comme l’eût fait un commensal de même rang que le sien. En raison de sa grande piété et se trouvant sans doute plus à l’aise à cheval qu’à pied, ses contemporains la surnommèrent « l’amazone chrétienne ». Son comportement « excentrique » déplut grandement à l’Eglise et, malgré sa dévotion et le bien qu’elle prodiguait autour d’elle, elle encourut l’excommunication. Escortant également les convois qui ravitaillaient la place de Verdun, son courage impressionna les officiers ennemis français qui la firent peindre par Claude Deruet, maître de Claude Gellée.
Le roman de Claude Veillet est inspiré des quinze dernières années de sa vie. Ayant perdu un fils à la naissance et un second emporté par la peste en 1644, et sa fille s’étant mariée deux ans plus tard, elle reporta son amour sur un enfant trouvé qu’elle éleva en son château, mais ne fut pas payée de retour.
Femme aux ressources étendues, la guerre ne l’empêcha pas d’écrire des tragédies religieuses. La très pieuse et très noble châtelaine vieillit alors que la Lorraine des Trois-Évêchés était livrée au rude gouvernement de l’occupant français. Tous ses biens furent réquisitionnés et sa maison occupée. Malade, elle entra chez les clarisses de Bar-le-Duc et revint mourir chez elle en 1660, à 53 ans.
Son tombeau est encore visible de nos jours dans l’église de Neuville-en-Verdunois.
Pierre Yunk – Présent
Claude Veillet, Le Crève-cœur de la dame de Neuville. Heurs et malheurs de madame de Saint-Baslemont, l’amazone chrétienne, Metz, Éditions des Paraiges, 2016, 144 p., 15 euros