Présent
Charles Daisug
Parmi les dizaines de millions d’Européens qui, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, débarquèrent à New York avant de peupler la jeune nation, il y eut d’innombrables « chances » – de véritables « chances » – pour l’Amérique. L’immigration irlandaise, scandinave, italienne, allemande allait construire le pays, éprouver ses institutions, repousser ses frontières. La souche millénaire du vieux continent se mit à l’œuvre et l’on vit dans les cœurs une brassée de drapeaux, encore secrètement gardés, s’incliner par loyauté devant la bannière étoilée. L’intégration était en marche ; l’étranger devenait américain. Restèrent les patronymes, seuls témoins de cet exode prodigieux. Ils rappelaient l’Europe et quelques exemples de spectaculaires réussites. Parmi eux, la Suède s’inscrivit avec panache grâce aux Lindbergh, père et fils (cf. Présent du 15 février).
Une double chance rarissime pour l’Amérique. Le père, né en 1859, fut le premier à annoncer au Congrès la prise du pouvoir par une clique de financiers apatrides et à dénoncer les signes avant-coureurs d’une conquête globaliste. Le fils, mort en 1974 fut, rappelons-le, le premier à traverser l’Atlantique en mai 1927 à bord d’un petit avion à qui les spécialistes de ce genre de défi avaient donné à peine un espoir contre mille illusions de se poser sur l’aérodrome du Bourget. L’un et l’autre brillèrent dans deux domaines très différents et pourtant ils réussirent à se rejoindre sur un même terrain : le pacifisme. Chacun s’éleva contre « sa » guerre (la Première mondiale et la Seconde) ; chacun s’efforça de galvaniser l’opinion pour que l’Amérique n’y entre pas.
Charles Lindbergh junior s’opposa à l’abattoir qui allait frapper les trois coups et ouvrir ses portes, comme son père, vingt-cinq ans plus tôt, s’était indigné devant une tuerie jugée indispensable par les manipulateurs. De 1939 à 1941 – c’est-à-dire de l’attaque contre la Pologne au bombardement de Pearl Harbor – Charles junior milite au sein du mouvement Defend America First (Défendons l’Amérique d’abord) parce qu’il refuse de croire, comme son père avant lui, à une propagande mensongère qui surfe sur le patriotisme pour mieux saigner l’Europe. Charles junior met sa gloire au service d’un combat et prononce dans tout le pays devant des foules immenses – l’opinion était à 90 % neutraliste – des dizaines de discours qui lui valent les foudres de l’appareil libéral, des cercles mondialistes, des organisations juives.
Il s’insurgea contre l’imposture du président Franklin Roosevelt qui avait promis de ne pas envoyer les boys combattre à l’étranger alors que, dans les coulisses, il intriguait avec Winston Churchill pour transformer l’Amérique en nation belligérante. Il tempêta avec la même énergie contre le même Roosevelt lorsque celui-ci affirma à la radio qu’Hitler était prêt à envoyer une armada pilonner les côtes de Virginie et du Maryland toutes proches de Washington. L’intoxication atteignait l’hystérie. Dans son journal personnel tenu presque chaque jour pendant les années sombres avec une sorte d’appréhension fiévreuse, Charles junior a souhaité la victoire de l’Allemagne nationale sur la Russie soviétisée car il voyait Staline comme le véritable promoteur de la guerre civile européenne.
La suite des événements lui donna raison. L’aviateur nota ces mots prophétiques une semaine après l’entrée des troupes américaines dans Paris : « Nous allons sans doute remporter ce conflit sur le plan strictement militaire, car l’appareil national-socialiste ne peut désormais que s’essouffler. Mais ce que beaucoup ne savent pas encore, c’est que nous allons perdre ce conflit sur le plan politico-culturel. Moscou colonisera une grande partie de l’Europe, où les faux vainqueurs se révéleront incapables de protéger les valeurs de chaque peuple et la liberté de chaque nation. »
Conscient de la lâcheté de Roosevelt et du cynisme de Churchill, Charles junior avait pronostiqué le rideau de fer, la communisation de l’Est, la guerre froide, l’Occident durablement meurtri. Dès qu’Hitler pilonna l’armée polonaise, le conquérant de l’Atlantique eut ces mots, confiés au magazine à grand tirage Reader’s Digestet qui apparaissent tout aussi prophétiques que les précédents : « Une Europe divisée par la guerre réduit la stature de notre civilisation en érodant la sécurité de chaque pays qui la représente. N’en doutons pas : les combats détruisent autant le spirituel que le matériel. La seule différence entre les deux réside dans le spectaculaire, car dans les cœurs et les consciences des hommes, les dégâts sont comparables. Dans les villes, on peut les réparer ; chez les hommes, jamais. Il est indispensable que l’Amérique reste en dehors de ce chaos. D’autant que, par idéalisme aveugle, elle se trompera de cible : c’est de l’URSS que vient la véritable menace. »
Le lynchage du héros national commença dès les premiers mois de 1939. En plus des expressions méprisantes à son égard qui remplissaient les colonnes de la presse serve, chaque personnage du régime voulut ajouter sa propre couche de haine sur le nom de Lindbergh. Le Secrétaire à l’intérieur, Harold Ickes, estima que Charles junior avait « perdu le droit d’être Américain » et l’éditorialiste Dorothy Thompson le traita de « sombre crétin ». Un chroniqueur radio qualifia Charles junior de « porte-parole du nazisme », un éditeur l’assimila à un agent de la propagande hitlérienne et Roosevelt lui-même, au cours d’une conférence de presse tenue en 1941, fit une allusion à peine voilée à la « lâcheté » de l’aviateur lorsqu’un journaliste lui demanda si les autorités avaient l’intention de l’incorporer dans une escadrille opérationnelle programmée contre l’Allemagne. Charles junior démissionna aussitôt d’une commission de l’US Air Force où il avait été nommé après son vol historique.
Plus libre de ses mouvements, il attaqua alors directement le président en lui reprochant d’armer l’Angleterre et l’URSS, en l’accusant d’avoir su avec deux mois d’avance le bombardement japonais à Pearl Harbor. Ce fait est maintenant prouvé : l’inertie de la Maison Blanche permit le drame qui, lui-même, servit de prétexte à l’entrée en guerre des Etats-Unis. Une guerre que Charles junior fit brillamment dans le Pacifique comme pilote de chasseur-bombardier (vingt-cinq missions de combat) et initiateur de nouvelles tactiques. Opinion du célèbre général Douglas MacArthur : « Le “sauteur” d’océan ? Un as ! »
Un as bien entouré : avant les camarades d’escadrille, les foules pacifistes et dans les coulisses des supporters connus – des parlementaires, un futur président, un futur juge à la Cour suprême. Du gratin isolationniste mais surtout très hostile à Roosevelt. Vingt-huit ans plus tôt, le père se sentit beaucoup moins épaulé que ne le fut plus tard son fils. Non pas lorsqu’il ferrailla contre le spectre guerrier, mais lorsqu’il combattit depuis son siège de député la sauvagerie du capital : arrogance des banquiers et rapacité des industriels. Des hommes sans scrupules qui ne pensaient qu’aux profits. Tout leur était bon : chemins de fer, mines, ports, pétrole. Des dynasties comme les Rockefeller et les Morgan. Ils voyaient la Constitution comme un paravent, la démocratie comme un outil et le Congrès comme un vassal. Ils avaient l’argent. Ils voulaient le pouvoir. Ils finirent par l’avoir.
Pendant les dix ans qu’il passa à la Chambre, Charles senior, presque seul, dénonça inlassablement la conspiration de ce trust du dollar, les agissements de ce gouvernement invisible, l’incrustation d’une mafia officielle. En 1913, ce qu’il redoutait arriva : la création de la Federal Reserve Bank, banque centrale d’émission, plus couramment appelée la Fed. A la fois brûlot subversif, pompe à billets et instrument d’initiés. Le capital apatride triomphait : avec la Fed, il allait contrôler, à la barbe de l’Etat, le flot monétaire national. Et celui qui tient l’argent, tient le pays. Cela dure depuis 101 ans. Il avait vu juste et loin, Charles Lindbergh senior, qui écrivit le jour où une loi créa la Fed : « Cette loi établit le plus gigantesque trust que la terre ait porté. En la ratifiant, le président légalisera l’insaisissable pouvoir monétaire. Le peuple ne s’en apercevra pas tout de suite. Mais à la longue, il accumulera les raisons d’être effrayé. »