L’inquiétant rétrécissement des libertés publiques

 

Par Aristide Leucate

Petit tour d’horizon de ces dangereux reculs…

Quand il commença « son droit », l’auteur de ces lignes était tout à la fois étonné et fasciné que le génie juridique français ait pu, d’une part, édifier un socle granitique de droits et libertés que l’on aurait espéré indestructible, d’autre part, que cette œuvre colossale reposât sur une fragile mais non moins habile construction jurisprudentielle. En l’occurrence celle du Conseil d’Etat contribuant au double mouvement simultané, tant d’émancipation du juge administratif de l’emprise du Prince que d’autonomisation d’une discipline, le droit administratif, occupant désormais une place à part à côté des traditionnels droit civil et droit criminel.

C’était il y a vingt ans…

Aujourd’hui, on ne peut qu’être frappé d’un inquiétant rétrécissement des libertés publiques en France, celle-ci semblant subir la néfaste influence outre-Atlantique du Patriot Act et de ses codicilles, édictés au lendemain du 11-Septembre.

Petit tour d’horizon de ces dangereux reculs, dont le plus marquant, dernièrement, a été la « jurisprudence » Dieudonné issue des ordonnances rendues les 9, 10 et 11 janvier 2014 par le juge des référés du Conseil d’Etat, juge unique ayant, proprio motu, renversé la fameuse jurisprudence (collégiale) Benjamin du 19 mai 1933, aux termes de laquelle, il incombe à l’autorité administrative de concilier l’exercice de ses pouvoirs de police avec le nécessaire respect des libertés publiques. Or, comme l’a écrit un professeur de droit, ces ordonnances « inversent les fondements mêmes de notre système d’organisation des libertés parce qu’elles reposent sur une logique (…) préventive. »

Moins tapageuses, mais toutes aussi liberticides, deux revirements de jurisprudence de juin et décembre 2013 du Tribunal des conflits (TC, composé de hauts magistrats judiciaires et administratifs) sont également venues restreindre la protection judiciaire des libertés. Primo, toute atteinte, même illégale, à une liberté fondamentale par l’administration (maire ou préfet) n’est désormais plus constitutive d’une voie de fait. C’est ainsi que le TC a reconnu que l’implantation illégale chez un particulier d’un poteau électrique ne portait pas atteinte à son droit de propriété. Secundo, dans le prolongement de cette dernière, l’occupation, même illégale, d’une propriété privée par l’administration, n’est plus considérée comme une emprise irrégulière, sauf si elle aboutit, de facto, à une expropriation du bien.

Reste, à présent, au nom de l’extensive conception de la notion de « dignité de la personne humaine » retenue par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’affaire Dieudonné, à mettre fin aux corridas (comme certains l’ont suggéré) considérant que les animaux font indéniablement partie de l’humanité. La voie sera alors ouverte pour interdire, demain, la consommation de viande.

Et dire que par une loi du 5 août 2013 fut discrètement mais définitivement supprimé le vieux délit d’offense au chef de l’Etat. Au nom de la liberté d’expression. Au nom de la prétendue normalisation d’une société qui désacralise l’autorité politique mais soumet ses membres à un hygiénisme moral et comportemental des plus totalitaires.

 

Lu sur Boulevard Voltaire

 

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