La tribune de l’art
par Didier Rykner
Alors que les Halles de Baltard ont disparu en 1971-1973 sous les coups des démolisseurs, son autre réalisation majeure, l’église Saint-Augustin (ill. 1), est dans un état de conservation désastreux. Ce n’est hélas qu’une des nombreuses églises de Paris que la municipalité délaisse de manière scandaleuse, mais celle-ci pourrait au moins, en souvenir des défuntes Halles, avoir un peu plus de considération pour cet édifice religieux majeur. Il s’agit d’un des monuments les plus importants de Paris, par la qualité de son architecture, mais aussi par sa taille et par son emplacement au croisement de deux des grandes voies de la capitale, le boulevard Malesherbes et le boulevard Haussmann. Il est vrai qu’au même moment la mairie de Paris massacre le quartier des Halles pour la deuxième fois en moins de cinquante ans, avec la construction de la monstrueuse « Canopée », encore plus laide que les bâtiments qu’elle remplace, et qui est à Baltard ce que Richard Clayderman est à Beethoven.
Nous l’avions déjà écrit : le 5 novembre dernier, un gros bloc de pierre est tombé de la façade , mutilant encore davantage une sculpture représentant le taureau de saint Luc qui fait partie d’une série de quatre symboles des évangélistes. Cet incident aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Le parvis du porche est désormais interdit et les visiteurs doivent entrer sur les côtés. L’intérieur de l’église, très sale, est particulièrement sombre. On voit un peu partout des traces d’infiltrations qui témoignent de l’état préoccupant du monument. La coupole, peinte par le prix de Rome Alexandre Denuelle et Charles Lameire pour les figures et par Alexandre Denuelle et Charles Lameire pour les parties décoratives, est entièrement occultée par un filet qui évite que des pierres ne tombent sur les fidèles ou les quelques touristes qui s’aventureraient dans Saint-Augustin. Les filets se multiplient d’ailleurs, à l’intérieur comme à l’extérieur des églises parisiennes : c’est, avec le papier japon que l’on appose sur les peintures murales, l’équivalent delanoesque du cataplasme sur une jambe de bois. Plutôt que de restaurer en dégageant le budget nécessaire (ce que la Ville de Paris pourrait faire car elle est riche, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire), on préfère laisser pourrir la situation. On n’ose imaginer à quoi ressemble la coupole sous ce filet, et de toute façon personne ne peut le savoir vraiment.
En revanche, on sait ce que sont devenus deux des quatre évangélistes peints aux écoinçons de la même coupole par Émile Signol. Déposés en 1994, ils ont été roulés et sont entreposés sur la tribune est. On ne voit plus que Saint Marc et Saint Jean l’Évangéliste (ill. 3). On entend d’ici Danièle Pourtaud, adjointe au maire en charge du patrimoine, qui va nous dire que c’est la faute de l’ancienne municipalité. Comme si nous étions des thuriféraires de Jacques Chirac et de Jean Tibéri ! Que ceux-ci portent une responsabilité dans l’état des églises est évident. Mais ils ne sont plus au pouvoir à Paris – on s’en veut d’avoir à le répéter encore et encore – depuis bientôt treize ans. Danièle Pourtaud aura beau répéter que « l’état du patrimoine religieux parisien s’améliore depuis douze ans » et qu’« il est très excessif de parler de péril » la méthode coué ne convainc qu’elle-même. Jamais l’état des églises n’a été aussi inquiétant qu’aujourd’hui comme nous le démontrons article après article, film après film. Sur la tribune également, nous avons découvert un grand tableau sans son cadre, sale, chancis et troué, entreposé dans des conditions indignes (ill. 4). Il s’agit d’une toile de Marius Abel, La Mort de sainte Monique (ill. 5), acquise par l’État au Salon de 1869 et déposée dans l’église Saint-Augustin. Son sort ne semble guère préoccuper la municipalité parisienne qui l’a tout simplement oubliée là.
En montant à la tribune, nous avons vu dans l’escalier des fissures dont certaines courent sur plusieurs niveaux. C’est le bedeau de l’église qui nous les a fait remarquer, spontanément, indiquant qu’elles n’étaient pas là lorsqu’il a pris ses fonctions et qu’elles ne cessent de s’agrandir. Pourtant, aucun témoin ne permet de vérifier leur évolution. Des fissures dans un bâtiment ancien ne sont pas forcément graves mais elles doivent être surveillées de près, surtout lorsque l’édifice est dans un tel état. Mais manifestement la conservation de Saint-Augustin ne semble pas être la priorité de la municipalité. Nous pourrions parler aussi des décors de William Bouguereau (ill. 6), au dessus des tribunes des deux bras du transept, peints sur des toiles marouflées qui se détériorent (l’une d’entre elle est même en train de se détacher). Ou des peintures de Pierre Brisset (encore un prix de Rome, comme Baltard, Bezard et Bouguereau) dans la chapelle de la Vierge qui, elles aussi, sont en train de s’abîmer. Tout ceci est visible dans notre vidéo. On n’y voit pas, en revanche, l’état de la toiture qui doit être entièrement refaite, ou celui de certains vitraux, en partie brisés…
Notes
1. Le mot « église » est au singulier, ce qui veut tout dire.