La Ville de Paris et l’afficheur JCDecaux sont aux prises avec la justice pour avoir fait affaire autour d’un contrat illégal, qui autorise notamment les panneaux publicitaires numériques. Le cas parisien soulève le problème de la nocivité de ce type de publicité qui risque de s’étendre dans les années à venir. Entretien avec Thomas Bourgenot, chargé de plaidoyer de Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP).
La justice vient d’invalider un contrat entre la Ville de Paris et le leader mondial de l’affichage publicitaire JCDecaux, pourquoi ?
Thomas Bourgenot : La Ville de Paris avait attribué un contrat à JCDecaux pour l’exploitation du mobilier urbain, contrat annulé en avril dernier par le Conseil d’État qui avait été saisi par deux concurrents, au motif qu’il contrevenait au règlement local de la publicité extérieure de Paris qui interdit les publicités numériques. Ce contrat s’achevant ce 31 décembre 2017, la municipalité avait décidé en novembre dernier d’attribuer à l’afficheur un contrat à titre provisoire de deux mois, en attendant l’élaboration d’un nouveau règlement de la publicité, qui, bien sûr, autoriserait les publicités numériques.
La Ville de Paris n’a pas fait de mise en concurrence pour ce contrat, car c’est une procédure qui peut durer assez longtemps. C’est évidemment illégal mais elle a argué de la nécessité de la continuité du service public. Assimiler la publicité extérieure à un service public est contestable et la municipalité a d’autres moyens que l’affichage extérieur pour communiquer. Le tribunal administratif a donc annulé au début du mois de décembre ce contrat provisoire. La Ville de Paris a porté l’affaire devant le Conseil d’État pour tenter de faire invalider la décision et le verdict devrait tomber en janvier. Ensuite commencera la longue procédure de l’élaboration d’un nouveau règlement extérieur de la publicité…
Alors que les politiques n’ont que l’écologie à la bouche, comment justifier l’utilisation de panneaux numériques dont la consommation d’énergie équivaut à celle d’un foyer de trois enfants ?
La consommation d’énergie de ces écrans une fois mis en place est effectivement gigantesque mais c’est sans compter ce que représente l’ensemble du cycle de vie du produit, en commençant par sa fabrication à l’autre bout du monde dans des conditions sociales et environnementales dramatiques ! Les politiques et les afficheurs favorables au développement de la publicité numérique expliquent généralement que ces écrans permettent une gestion à distance, donc moins de circulation et moins de pollution… En réalité, ce matériel numérique est beaucoup plus sensible que le matériel d’affichage classique, ce qui implique de nombreux trajets pour l’entretien. L’actuel règlement de la publicité extérieur de Paris avait été voté en 2011 et complètement appliqué en 2015. On se demande bien pourquoi la municipalité voudrait en changer si vite. C’est tout simplement parce que les Jeux Olympiques approchent et que la municipalité n’envisage pas l’évènement sans un gigantesque arsenal publicitaire, en particulier numérique.
Peut-on mesurer l’impact de la publicité sur le cerveau ?
Il est clair que la publicité pose la question de notre liberté de recevoir tel ou tel message. On estime qu’en ville, les personnes sont exposées à 1 200-3 000 messages publicitaires par jour, sans compter ce qu’on appelle les stimuli commerciaux, qui ne sont pas des publicités classiques. Il s’agit en particulier des logos, que nous voyons sur les voitures, les vêtements, partout en fait ! Cela dit, tout cela est difficile à chiffrer, les études sont généralement commandées par les annonceurs et les afficheurs qui ne s’intéressent pas tant à l’aspect quantitatif que qualitatif. En tout cas, cela ne va pas aller en s’améliorant car JCDecaux a pour objectif de passer à 50 % de publicités numériques d’ici à 2050.
Néanmoins, on sait comment la publicité agit sur notre cerveau : elle a pour but, non pas de créer un automatisme mais de nous familiariser avec un produit. À force de le voir, nous aurons plus facilement tendance à le choisir parce que, face à un rayon avec un choix immense, nous allons forcément plus facilement vers le produit que nous connaissons. Les écrans de publicité numérique, parce qu’ils sont lumineux et animés activent notre réflexe du chasseur. Le cerveau traite différemment le mouvement et l’inanimé. Le mouvement, justement, crée un stress, une surcharge positive qui accélère l’ancrage des messages.
Comment échapper à cette pollution visuelle ?
Autant on peut mettre un autocollant « stop pub » sur sa boîte aux lettres et des programmes de blocage des publicités sur nos ordinateurs, autant il paraît difficile d’échapper aux centaines de publicités que nous voyons chaque jour dans la rue, à moins de marcher les yeux fermés. Souvent, nous avons l’impression de ne plus les voir mais il suffit que nous posions les yeux sur ces panneaux pour qu’ils marquent notre mémoire implicite. À mon sens, il faut plutôt, autant que possible, regarder délibérément ces publicités pour pouvoir les analyser et poser un regard critique, comprendre pourquoi le message est manipulatoire.