Il était une fois l’Epiphanie…

La tradition rapporte que les mages, entrant dans la maison désignée par l’étoile d’Orient et où se trouvait l’enfant avec Marie sa mère, lui offrirent des présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ; offrande symbolique. De l’or comme à un roi, le roi du monde ; de l’encens comme à un Dieu ; de la myrrhe pour prévenir sa sépulture.
Nos aïeux comprenaient bien le sens de cette triple offrande. Aussi les rois ne manquaient-ils pas, à l’offrande de leur messe, ce jour-là, de porter, comme les mages antiques, de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Quelques-uns, la plupart, le firent comme une chose toute simple, comme une coutume introduite par la dévotion de la monarchie dans le cérémonial. D’autres, cependant bien simples dans leurs mœurs, y mirent plus d’apparat. De ce nombre fut le sage Charles V, qui fit cette offrande à la Sainte-Chapelle avec une grande solennité.

Il y a dans l’Epiphanie un souvenir de Noël, et le peuple a longtemps confondu dans la même vénération, dans le même culte, la crèche de Noël, l’adoration nocturne des anges et des bergers, et celle des mages. Nous ne savons si à côté de la bûche de Noël, bouquet du foyer, les Français des premiers siècles du Moyen Age mettaient le large gâteau des rois. Mais ces fêtes sont si proches l’une de l’autre, il y a entre elles tant de mystérieux rapports, que c’est toujours le souvenir de Noël qui revit dans l’Epiphanie.

Il fallait acheter par les saintes préparations de la pénitence, jeûnes, prières, aumônes, toutes les joies que ce jour versait sur le seuil du foyer ; et la coutume fut longtemps de passer à l’église, dans la méditation des saints mystères et dans des offices pieux, la nuit qui précédait Noël. C’était ce qu’on appelait fêter la vigile. De là est née la coutume du réveillon. Au retour de l’église, à la messe de l’aurore, le temps de la pénitence était passé, car un petit carême précédait Noël, et alors pleuvaient sur la table de famille les jambons, les saucisses et les boudins qui, de date immémoriale, ont été en France, la suprême délectation de ces jours de gala tout particulier. Aujourd’hui il y a beaucoup de réveillons mais peu de vigiles.

Jadis, en revenant de la messe de minuit, les villageois des campagnes qui s’apprêtaient à faire réveillon donnaient d’abord à manger aux bestiaux, afin de les associer à la fête, en mémoire du bœuf et de l’âne. Tout le monde sait avec quelle solennité la belle fête de Noël est alors célébrée, avec quelle impatience elle est attendue au sein des familles. Les enfants attendent avec crainte et curiosité la récompense d’une longue année de sagesse que le petit Jésus doit glisser cette nuit-là dans leur soulier. Ce soulier-là, c’est la conscience de l’enfant. Combien n’osaient pas le mettre dans la cheminée, tourmentés par le souvenir d’une espièglerie récente, et d’autres ne le risquer qu’à demi. Nous connaissions également le roi de la fève, fête de famille dont chacun avait sa part, même le pauvre inconnu frappant à la porte et venant réclamer au nom d’un pieux usage le quartier de gâteau auqueil il avait droit de par Dieu.

Quant à l’Epiphanie, elle est de toute ancienneté. Fêtée quelque temps avec la solennité de Noël, ce fut vers le IVe siècle que l’Eglise l’en sépara, en fit de la fête de l’Adoration des rois une fête tout à fait distincte. Ce qui le prouve, du reste, c’est que le célèbre Julien l’Apostat, vers le milieu du IVe siècle, se trouvant à Vienne, n’osa pas manquer d’assister à l’office de ce jour, bien que déjà son cœur se fût détourné de la foi chrétienne. Mais il gardait cependant encore, aux yeux de la foule, une piété d’apparat.

Malgré les ténèbres historiques entourant les mages, ces saints voyageurs, la légende a suppléé au silence des livres sacrés. Elle les appelle Balthazar, Melchior et Gaspard. Un ouvrage attribué à Bède, Extrait des Pères, nous donne ainsi le nom des trois mages, et de plus leurs traits et leurs costumes, décrits avec un soin minutieux. Melchior est un vieillard chauve, à longue barbe, vêtu d’une robe couleur d’hyacinthe. Gaspard est jeune, porte une robe orangée et un manteau rouge ; le manteau est bariolé de dessins divers. Nos artistes avaient besoin que la légende leur vînt en aide ; aussi leur a-t-elle servi beaucoup, et c’est à peu près ainsi que tous nos peintres ont représenté cette adoration des mages.

Les mystères ont également représenté cette scène des livres saints. Enfin nos cantiques et les noëls du Moyen Age l’ont rimée à leur façon. Voici un fragment de ces pieuses poésies anciennes :

Trois rois de leurs domiciles
Viennent adorer l’enfant.
Et de leurs mains libérales
Lui donnent or, myrrhe, encens.
Trois rois de haut parage,
D’étrange région,
Lui vinrent faire hommage
En grande oblation.
Une étoile les conduisait
Qui venait devers Orient,
Qui à l’un et l’autre montrait
Le chemin droit en Bethléem.

Et cet autre :

BALTHAZAR
Qui vous émeut, ô princes !
De quitter vos pays,
De laisser vos provinces
A demi ébahis ?
Avez-vous quelque augure,
D’une chose future,
Qui vous met en émoi
Aussi bien comme moi ?
GASPARD
Pour moi, dans ma contrée
Et de jour et de nuit,
S’est vue et remontrée
Une étoile qui luit,
Qui biaisant sa course,
Ne va point comme l’ourse
Qui fait voir à nos yeux
Qu’elle n’est dans les cieux.

MELCHIOR
Aussi l’ai-je aperçue,
Comme vous l’avez dit,
Et si bien dans ma vue
Son rayon s’épandit,
Que sans nuage ou voile
J’avise à cette étoile
A l’endroit plus luisant
La forme d’un enfant.

BALTHAZAR
La chose est très certaine ;
Et c’est elle vraiment ;
Nous voilà hors de peine
Par votre enseignement.
Et me vient une idée,
Que c’est en la Judée,
Parmi ce peuple hébreu,
Que doit naître ce Dieu.

GASPARD
L’étoile non pareille,
Qui chemine dans l’air
Pour voir cette merveille,
Semble nous appeler.
Donc, princes débonnaires,
Prenons nos dromadaires,
Et courons vitement
Voir cet événement.

MELCHIOR
Sus donc en diligence,
Car ne voyez-vous pas
Que l’étoile en cadence
Nous mesure nos pas ?
Courons à toute bride,
Le grand flambeau nous guide
Et encor conduira
Tout juste où il faudra.

Telles étaient les rimes naïves et incorrectes que nos pères débitaient sans façon à la table de famille, en se partageant ce jour-là le gâteau des rois. Et autour de ce gâteau, que d’attentes curieuses, que d’exclamations, que de battements de mains joyeux, quand le roi de la fève, élu par le sort, se faisait enfin connaître, et quand cette majesté d’un soir portait son verre à ses lèvres : Le roi boit ! La reine boit ! Heureuse royauté ! La seule peut-être à qui soient inconnus les soucis, les douleurs, les fatigues, l’ingratitude, l’adversité !

En Provence, où rien ne se fait froidement comme ailleurs, la tradition a conservé à cette fête une forme toute pittoresque. Il y a surtout une petite ville, nommée Trats, qui mérite que nous nous y attardions. Peu connue aujourd’hui, elle fut importante autrefois. Au XIXe siècle encore, ses rues étroites et mal bâties s’animent pourtant singulièrement quand vient la fête des Rois. Dès la veille les jeunes gens se réunissent pour aller au-devant des trois mages. Ils portent sur la tête des corbeilles de fruits secs. Cela se comprend en Provence et à cette époque de l’année. Une chapelle consacrée à saint Roch se trouve en dehors de la ville : c’est le but du pèlerinage. A la chapelle sont trois personnages revêtus du costume oriental. Un orateur les complimente ; pour la peine, il reçoit d’eux des corbeilles et une bourse pleine de jetons.

Notre discoureur n’a pas plus tôt entre les mains le prix accordé à son éloquence, qu’au lieu de partager, il se sauve à toutes jambes avec son butin. Mais ce n’est que pour la forme ; car ses camarades se mettent à sa poursuite en formant une falandoule, c’est-à-dire une chaîne de danseurs. On rentre ainsi en ville ; il est convenu que malgré l’agilité du fugitif, il finit toujours par être enlacé dans les anneaux de la chaîne qui le poursuit sans relâche. Danses, jeux, repas de famille restent pour le lendemain.

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