A 28 ans, Frédéric Lynn est déjà un vétéran. Après avoir combattu dans le Donbass, le jeune Français raconte son histoire hors du commun dans Les Hommes Libres, un livre publié aux Editions Bios. Un témoignage fort, marqué par des déceptions, mais aussi par des rencontres marquantes.
— Pourquoi êtes-vous parti vous battre dans le Donbass ?
— Il y a tout un faisceau de raisons que j’exprime au début de mon livre. Je peux vous donner la plus évidente et à mon avis, la plus déterminante : quand j’étais môme, je jouais dans les bois avec un fusil en plastique.
— La propagande de part et d’autre semble être le principal regret que vous nourrissez aujourd’hui, comment s’exprimait-elle ?
— La propagande est l’exagération ou la déformation de faits réels, le voile cachant la réalité du front. Les deux camps y ont abondamment eu recours durant cette guerre. On a d’abord été contraint de participer à cette propagande sur ordre direct de nos supérieurs, mais aussi en échange de services ou de matériel. On a même échangé une interview contre de quoi manger, quand on crevait de faim. A cause de la surmédiatisation, nous nous sommes retrouvés exposés et notre image était souvent utilisée à tort, suscitant de nombreuses critiques. Certains pensaient que la com’ était importante, moi j’étais là pour me battre, mais comme je parlais anglais et que j’avais un passé de militant politique, je servais souvent de porte-parole.
Nous avons perdu beaucoup de temps à tenter d’expliquer notre cause ou à défendre notre image, si je pouvais revenir en arrière, je ferais les choses bien plus discrètement, à visage couvert, sans m’expliquer ni me justifier. J’espère que les interviews liées à la sortie du livre seront les dernières que j’aurai à donner.
— Y a-t-il un contrecoup dû au retour à la vie civile ?
— On s’ennuie. Beaucoup de distractions qu’on appréciait avant paraissent fades. On a bien moins de patience face aux petits désagréments de la vie.
Cela dit, j’apprécie bien plus mes journées, les plaisirs simples et les moments passés avec mes proches. Je suis content d’être vivant, en bonne santé, et d’avoir quelque chose à manger dans mon assiette.
— Comment est née l’idée de l’écriture de votre livre ?
— C’est le genre de bouquin que je lisais dans ma jeunesse, pour me distraire et pour rêver. Nous avons vécu tellement d’anecdotes, rencontré des personnages et des situations invraisemblables que je me suis dit que la seule façon de ne pas tout oublier, c’était de l’écrire. Durant mon voyage, je tenais des carnets, une sorte de journal. Publier un bouquin avec ma version des faits est aussi une bonne manière de répondre aux curieux et de passer à autre chose. Le patron de Bios est un ami de longue date, il m’a laissé de la marge et un droit de regard étendu. J’aime l’idée d’être publié dans une petite maison indépendante et sans prétention.
— Vous avez parfois pensé à ne pas l’achever, pour quelles raisons ?
— Le doute : à force de vous faire traiter de mythomane, vous finissez par vous demander si ce que vous avez vécu était bien réel ou si vous avez rêvé. Il y a aussi la lassitude, le dégoût de la surmédiatisation, l’envie de disparaître et de me faire oublier, le sentiment que le livre serait incompris et qu’on s’en servirait contre moi. La peur qu’il m’attire des ennuis dans ma vie privée et professionnelle, dans le futur. Finalement, il constituera peut-être ma seule et meilleure défense, à long terme. C’est comme laisser un témoignage. « Il est disponible, ma version des faits est dedans, si le sujet vous intéresse, lisez-le, sinon, passez votre chemin. »
— Conservez-vous des contacts avec vos anciens camarades ?
— Avec ceux qui me déplaisaient, non. Avec les « good guys », bien sûr, nous étions comme une famille et nous tentons de ne pas nous perdre de vue, de veiller les uns sur les autres. C’est difficile car nous sommes éparpillés géographiquement et avons des occupations diverses. La présence des camarades nous manque, mais ce qui nous liait de manière si forte, la guerre, n’est plus là, alors parfois nous avons du mal à trouver de quoi parler. Sauf quand nous discutons de tel ou tel épisode, car chacun vit les évènements à sa propre manière. C’est un peu confus parfois, d’additionner les points de vue. J’espère que le bouquin leur plaira, j’ai tenté de leur rendre justice. Beaucoup étaient des gars formidables.
— La France peut-elle à son tour connaître une situation de chaos à l’image de l’Ukraine ?
— Bien sûr. Une situation de chaos ou de guerre civile en France sera également bien plus sauvage, longue, confuse et meurtrière qu’en Ukraine. Là-bas, les gens restaient « civilisés » dans une certaine mesure. Les Français, eux, sont bien moins prêts, psychologiquement, physiquement, socialement ou matériellement, à survivre à une guerre civile. La société française est bien plus fracturée et divisée que la société ukrainienne. Les facteurs de haine, de conflit, y sont bien plus nombreux. Les problèmes de la société française s’additionnent, s’accumulent depuis bien plus longtemps.
Propos recueillis par Alexandre Rivet pour Présent