« La maison bleue adossée à la colline », oui, vous connaissez la (mièvre) chanson de Maxime Le Forestier. Mais vous ne connaissez pas la maison bleue des migrants de Calais dont Le Monde du 28 novembre chante les louanges avec une petite larme au coin des yeux. À la suite de l’appel de Libération, dit « appel des 800 », certains artistes se rendent régulièrement dans la jungle de Calais et « créent des œuvres pour contrer les discours xénophobes ».
Vous y rencontrerez « Alpha » de Mauritanie (qui ne semble pas un pays en guerre). Alpha « fait pousser des légumes et… vend du vaccin contre le racisme ». Une dessinatrice va faire son portrait pour « sortir des chiffres anesthésiants ». C’est vrai, un million de migrants/réfugiés/clandestins, ça ne peut qu’anesthésier le bon peuple de Calais.
Ce bon peuple qui apprend que la jungle de Calais est aussi « un petit bout d’utopie », une sorte de rêve prémonitoire de ce que pourrait devenir l’ensemble de la région avec un peu de chance. Ou, mieux encore, « un morceau de France à regarder et à donner à voir ». Et pas seulement un morceau, d’ailleurs, c’est la France tout entière ! « Il est intéressant de regarder la France à cet endroit-là », dit une cinéaste. Certes il y a les rixes, la prostitution, les deux incendies en huit jours, certes les bancs du théâtre ont été volés mais « il faut bien construire encore et toujours pour les nouveaux arrivants ».
Ces charmants « artistocrates », selon l’expression de Philippe Muray, font du tourisme migrants comme ils vont à Marrakech ou à Pattaya, pour avoir un peu de frisson exotique. Leur caméra, leur micro ou leur carnet à dessin à la main, ils distribuent leurs œuvres, cherchant l’inspiration avec un sourire navré mais complice. Heureusement, ils sont fermement soutenus par le ministre de l’Intérieur : ces artistes « manifestent une préoccupation que j’entends et que je partage », leur a déclaré Bernard Cazeneuve.
Parodie de parodie, ce pur cirque médiatique souligne la rupture entre quelques artistes hors-sol, les médias qui les soutiennent et la population. Car il y a un absent tragique dans ce qui n’est qu’un narcissisme complaisant : c’est la population de Calais, ses souffrances au quotidien. C’est dit : les habitants de Calais ne méritent pas la jolie maison bleue.