La SNCF surprend en lançant la première obligation verte, dite green bond, à 100 ans. Une première mondiale en même temps qu’une sorte de défi au simple bon sens. Qui peut en effet répondre du respect d’un engagement obligataire à un siècle d’ici alors que se multiplient les nuages sur la conjoncture mondiale et que s’accélère la restructuration de l’économie mondiale ? D’autant plus qu’aucun économiste ne s’avère capable d’anticiper, même à quelques mois près, l’échéance d’une crise majeure. A l’origine de cette audace, un double constat : le transport ferroviaire demeure, et de loin, le transport de masse le moins polluant. La SNCF s’est, de plus, engagée à réduire ses émissions polluantes de 25 % entre 2015 et 2025.
L’obligation verte témoigne en effet d’une créance émise sur les marchés financiers moyennant une finalité et des engagements environnementaux traçables et par conséquent vérifiables. La démarche s’inscrit dans un vaste mouvement dit de finance verte, destiné à financer la fameuse transition énergétique. Ces obligations vertes, les green bonds, ne s’adossent en fait à aucune définition réglementaire bien précise mais résultent simplement des « Green Bond Principles », sorte de charte rédigée en 2013 par la fine fleur du monde de la banque : Bank of America Merrill Lynch, Citigroup, l’inévitable JPMorgan Chase et, en ce qui concerne la France, le Crédit agricole CIB.
SNCF, l’histoire d’un endettement continu
Mais cet emprunt vert de 100 millions d’euros de notre opérateur ferroviaire national apparaît tout à fait symbolique en regard de son endettement abyssal et de ses perpétuels déficits. L’entreprise ne doit son résultat financier 2018 positif, à hauteur de 141 millions d’euros, qu’à la cession d’une filiale immobilière pour 766 millions d’euros. En réalité, en cette même et seule année, la dette de la partie Réseau croissait de trois milliards comme à peu près chaque année.
Chroniquement déficitaire, la SNCF a réussi à cumuler une dette s’élevant, fin 2017, à 47 milliards pour SNCF Réseau et 8 milliards pour SNCF Mobilités, soit 55 milliards d’euros qu’on ne sait quel miracle parviendrait à rembourser. Et encore, les tours de passe-passe se sont-ils succédé afin de camoufler en partie la situation avec, par exemple, dix milliards d’euros requalifiés en dette publique en 2014 et une réorganisation en 2015 aboutissant à la création de SNCF Réseau en remplacement de Réseau ferré de France (RFF). Malgré les velléités de certains, le budget national serait d’ailleurs bien incapable de récupérer l’ensemble de la dette sous peine de dépasser le seuil symbolique d’un endettement de 100 % du produit intérieur brut (PIB).
La folle orientation « tout TGV », lancée par les politiques mais financée par la SNCF, aggravée d’un inimaginable laxisme (hypothèse la plus optimiste et bienveillante) dans la gestion de la sous-traitance, ont amené l’entreprise nationale dans une impasse. En bref, les politiques ont imposé à la SNCF le « tout TGV » sans en subir les coûts, pour aujourd’hui lui imposer une privatisation en arguant de sa situation désastreuse.
Comme d’habitude, il appartiendra aux contribuables de financer de leurs deniers les égarements et manquements de ces dernières décennies puisque l’Etat reprendra quand même à son compte, donc au nôtre, 35 milliards (25 en 2020 et 10 en 2022) de la dette de SNCF Réseau. C’est à ce prix que l’opérateur ferroviaire pourra basculer du statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) à celui de société nationale à capitaux publics. Pour la baisse des impôts, il y a fort à parier qu’il faudra attendre encore… •
Arnaud Raffard de Brienne – Présent