Entretien avec Gérard et Nicole Delépine venus nous présenter leur dernier livre « Soigner ou obéir, Premières mesures urgentes pour éviter le naufrage », Fauves éditions.
Deborah Donnier : Pourquoi ce nouveau livre ? Soigner ou obéir par Gérard Delepine et vous même Nicole ?
Nicole Delépine : Depuis la parution de « Cancer, les bonnes questions à poser à votre médecin » en mai 2016, de nombreux lecteurs ou auditeurs de nos conférences nous ont demandé : « comment peut-on en être arrivé là ? » c’est-à-dire à la perte de la liberté de soigner pour les médecins et, à la perte de la liberté de choisir son médecin, son kinésithérapeute, son opticien etc. pour le malade.
De nombreux patients et citoyens bien portants, (malades putatifs), ont également compris que l’on ne leur proposait plus les « meilleurs soins en fonction des données ACQUISES de la science », mais que nos dirigeants avaient fait le choix de privilégier « la recherche translationnelle » (passage du médicament supposé innovation chez l’homme), oubliant que la seule recherche efficace est la recherche fondamentale. En pratique, pour les malades, c’est l’expérimentation des nouvelles molécules, (dites innovantes ou ciblées), qui prime, en oubliant trop souvent les traitements éprouvés, y compris la chirurgie première. La détérioration du système de santé français, passé en moins de vingt ans du premier rang mondial au 24e, et l’augmentation de la mortalité globale confirmée cette année, demandaient explications et tentative d’analyse du phénomène, d’où ce document. En conclusion du livre, nous proposons quelques solutions d’urgence, pour conduire à retrouver notre rang.
DD : « Soigner ou obéir » en titre, que souhaitez-vous dénoncer ?
ND : Nous dénonçons la mise sous tutelle de la médecine, en une trentaine d’années, (depuis l’arrivée de l’ère des golden boys en 1984), et la soumission de nos gouvernements successifs à la finance internationale, via l’Union Européenne.
La loi de 1984 modifia le statut de médecin des Hôpitaux, (alors responsable de fait du fonctionnement des services), et en fit un « PH » qui fut progressivement transformé, au fil des lois successives en robot au service du pouvoir. Tout au moins les médecins qui acceptèrent la soumission, les autres allant de plus en plus mal sous le joug bureaucratique, jusqu’à l’épuisement professionnel, voire le suicide.
Un pouvoir bureaucratique kafkaïen s’installa avec la succession de lois bridant la liberté médicale : la loi Evin en 91 installa la double hiérarchie, séparant la filière médicale des cadres infirmiers, censés « surveiller les prescriptions médicales » selon les ukases de leur hiérarchie (pour les soumis). Ce fut le temps, sous nos yeux ébahis, où le détachement du patient, et l’indifférence au lit du petit cancéreux furent prônés, voire imposés, même si heureusement la grande majorité des soignants refusa cette mode. Tout le monde ne veut pas être capo. Les cadres paramédicaux fidèles à leur mission de soin, dans la bonne entente avec les médecins, furent brimés puis évincés, sous prétexte qu’ils n’avaient « pas le profil ». Leurs notes et leur avancement s’en ressentirent, et même si on n’en parlait pas encore sous ce nom, le harcèlement moral par la hiérarchie se développa, aboutissant à des arrêts de travail et, au minimum, à de grandes dépressions. Les surveillantes attachées au patient et à la dimension humaine du soin furent progressivement éliminées. On n’en parle peu, mais les dégâts de cette loi furent très lourds.
Suivirent les SROSS, premiers schémas régionaux d’organisation sanitaire en 1995, pour fermer les petites maternités et de nombreux lits en psychiatrie, (les malades mentaux sont maintenant en prison ou SDF), et trop de femmes accouchent dans les ambulances. Les ordonnances Juppé, en 1996 dans la foulée, mirent en place les ARH, agences régionales d’hospitalisation, qui imposèrent le diktat de la bureaucratie sur les médecins des hôpitaux publics. Les ordonnances Juppé ont mis en place les bases de la destruction de l’hôpital public et les Français feraient bien de s’en souvenir.
Le plan cancer 2003 et les suivants, avec les circulaires du traitement du cancer de l’enfant en 2004, de l’adulte en 2005, et les décrets d’application de 2007 mirent le traitement du cancer en coupes réglées, bloquant toute initiative personnelle du cancérologue, pour choisir les soins de son patient. Désormais, tout serait décidé en groupe, la RCP, réunion de concertation pluridisciplinaire, sommée d’appliquer pour la grande majorité des patients, les injonctions de l’INCa, (institut national du cancer ouvert en 2005), centrées sur l’inclusion d’un maximum de sujets atteints de cancers dans les essais ou les thérapies précoces. Ces dernières consistent à administrer à un malade, très tôt dans sa prise en charge, une nouvelle molécule ayant obtenu une AMM provisoire, après une trop courte étude expérimentale, sur peu de patients, étude dite « Pivot » (remplaçant en gros les phases 1 et 2), avec des critères d’obtention de ces autorisations très allégés.
Ainsi dès l’autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée, les patients sont rapidement transformés en cobayes, et le médicament remboursé à un prix astronomique par la sécurité sociale, grâce au miracle de la liste en sus, dérogatoire du remboursement habituel des médicaments inclus dans la tarification à l’activité.
La loi HPST, (hôpital, patients, santé, territoire) dite Bachelot en 2009, a encore aggravé la situation, élargissant le pouvoir des ARH en les remplaçant par les ARS, agences régionales de santé étendant leur pouvoir de nuisance sur la médecine de ville dite libérale. La bureaucratie contrôle alors tous les secteurs de santé, qu’ils soient publics ou privés.
La loi Touraine, votée en catimini en 2015, pendant les cérémonies post-attentat, acheva la destruction de notre système de santé, en livrant les patients et leurs données de santé aux assurances privées, et en prenant le pouvoir d’organiser la médecine (article 1). Depuis son inscription au journal officiel en janvier 2016, les décrets tombent rapidement, détruisant nos conditions de soins en transformant le schéma d’implantation des hôpitaux et services au gré des directeurs d’ARS, et ce, sans tenir compte des besoins de la population. Les problèmes éthiques posés par de nombreux pans de la loi sont préoccupants.
DD : Ainsi le système de santé va mal selon vous ?
ND : Hôpitaux de proximité détruits par les ARS pour satisfaire les appétits de leurs amis en éliminant la concurrence, déserts médicaux organisés par le numérus clausus et la dégradation des conditions de vie des médecins de famille, harcèlement des personnels médicaux et paramédicaux. On croirait que des bombes sont tombées sur nos hôpitaux et nos cabinets de ville, dans lesquels les médecins encore sur le bateau sont harcelés par l’administration. C’est ce drame que nous abordons dans ce nouveau livre dont le titre résume le contenu : soigner ou obéir ?
DD : La France est en train de prendre l’eau en matière de santé ?
ND : Effectivement le Titanic… La France prend l’eau. Combien de patients savons-nous guérir par les traitements éprouvés, et voyons-nous perdus en l’absence du traitement adéquat que les médecins de la RCP ne prescrivent pas, voire ne connaissent plus ? On déconseille aux jeunes médecins de lire les articles datant de plus de quelques années qui leur donneraient de mauvaises idées… On ne soigne plus les patients, on obéit, comme le disent très bien les médecins harcelés dans leurs récits directs ou sur des posts facebook ou autres, et encore, quand ils osent parler. Ceux qui n’obéissent pas sont éliminés de fait, par autocensure, par exil ou suicide, ou abandonnent la profession purement et simplement. La situation est grave. Comme pour les policiers en colère, ce n’est pas seulement de moyens financiers dont les médecins ont besoin, mais du respect de leur savoir-faire, de leur désir de pratiquer leur métier en restant fidèle au serment d’Hippocrate et pas uniquement pour remplir les poches des labos, de leurs affiliés et de leurs actionnaires.
DD : Parlons du scandale du prix des médicaments innovants
ND : Le reste s’enchaine puisque la bureaucratie est au service de Big pharma et nous oblige à prescrire ces molécules innovantes dont les prix sont complètement injustifiés aux yeux de tous, sauf de nos gouvernants qui accordent ces prix aberrants. Le prix est un vrai défi, mais le pire est leur insuffisante efficacité qui les rend inutiles ou presque pour la grande majorité d’entre elles, leur dangerosité mal connue lorsqu’elle sont mises sur le marché (études pivot trop courtes), et le fait qu’elles soient prescrites trop vite en lieu et place des traitements éprouvés.
DD : Définissez-nous les grandes lignes de la loi santé
ND : L’essentiel de la loi santé est concentré dans l’article 1, qui décrète que le gouvernement est seul décideur en matière de santé, alors qu’il était autrefois simplement organisme de contrôle. En conséquence de graves décisions ont été prises dans cette loi, qui si elles sont appliquées vont détruire encore plus le système de santé.
Rappelons ici que la loi de santé de Marisol Touraine menace directement trois de ses fondements : la primauté de la santé du patient sur celle prétendue de la société (choix du collectif contre l’individu, raison alléguée d’inclure tous les patients dans des essais thérapeutiques), le secret médical (qu’elle vend aux assurances) et le respect de la vie humaine (puisqu’elle veut imposer un quota d’avortements obligatoire) et que des décrets vont favoriser l’euthanasie passive et la sédation définitive.
DD : Quelles sont les conséquences de cette loi santé ?
ND : Elles sont très nombreuses. Citons ici un exemple symbolique du détricotage de la médecine en France.
« Signalons la création de nouveaux métiers et l’autorisation donnée aux auxiliaires médicaux pour exercer en « pratique avancée » pour la prévention, l’éducation, l’orientation, le diagnostic, les prescriptions « en lien avec le médecin traitant », aux sages-femmes pour pratiquer l’IVG, la contraception, et les vaccinations du nouveau-né, aux pharmaciens pour vacciner. Toutes ces modifications lourdes de sens se sont imposées sans l’avis des professions concernées de fait, voir contre elles, et posent de solides questions médicolégales qui n’ont pas été abordées. L’acte autorisé n’est pas seulement pratique, mais s’inscrit dans une réflexion qui pèse le contexte, les autres traitements, les risques individuels en fonction de l’âge, des maladies associées, des antécédents familiaux, etc. De la vraie médecine. Qui sera responsable si un accident survient après un geste pratiqué par un aide- soignant et qu’il y a procès ? Les aide-soignants formés en stage de 2h à la pratique des gaz du sang (prélèvement dans une artère) sont-ils conscients de ces risques médicolégaux, et couverts par une assurance adéquate ? Personne ne leur demande leur avis ! Vous avez peut-être subi cette piqûre dans votre artère du poignet dans le cadre du traitement de votre cancer du poumon. Un geste pas si anodin !
Et un vaccin fait par un pharmacien qui ne connait pas votre traitement de chimiothérapie en cours ou vos antécédents familiaux de sclérose en plaques ou d’urticaire. Pas grave, on banalise. Tant pis pour les mélanges d’effets secondaires, interactions médicamenteuses dans notre langage. Les pharmaciens s’étaient élevés contre cet article les forçant à vacciner. Mais la ministre met des pansements aux conséquences de la disparition organisée des médecins en exercice ».
DD : Vous dites que « accuser Big pharma de tous nos maux serait un raccourci », expliquez-nous s’il vous plait
ND : Big pharma fait son travail, vendre, et gagner un maximum d’argent pour verser des dividendes. Mais c’est le ministère de la santé qui accepte de payer un médicament 41000 euros pour un patient, quand il est payé 850 euros en Egypte. De nombreux pays, en cas de médicaments vitaux proposés à des prix exorbitants ont utilisé la solution de la licence obligatoire, prévue par l’Organisation Mondiale du Commerce, qui suspend temporairement l’application du brevet sur leur territoire, permettant à leurs entreprises de fabriquer et commercialiser des génériques. Certains ont été trainés en justice par Big pharma, mais tous ont gagné. Les solutions existent donc, même pour ces drogues, la décision ou le refus sont politiques… On privilégie la santé de sa population ou celle de Big pharma !
DD : Que devrions-nous faire pour que notre pays aille mieux en matière de santé ?
ND : Revenir au bon sens, les médecins font de la médecine et les ministres de la politique, s’ils y arrivent. En tous cas, il est clair qu’il faut supprimer la bureaucratie qui étouffe les médecins et paramédicaux, hôpitaux publics et privés et la médecine libérale en voie de destruction totale, en l’absence de renversement réel de l’organisation. Donc, soyons simples, il faut supprimer les ARS qui détiennent tous les pouvoirs encore étendus par la loi Touraine.
Les médecins doivent redevenir les décideurs de la médecine. En pratique, la loi HPST et la loi Touraine doivent être abolies, ainsi que nombre d’ordonnances, circulaires et décrets imposés depuis une quinzaine d’années.
Il est évident que ce programme est politiquement difficile à mettre en application rapidement, car il remet en cause les décisions prises depuis une trentaine d’années. Mais, ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra retrouver un système de santé digne de notre démocratie.
Il y a urgence, car cette dictature bureaucratique a démobilisé les étudiants, les médecins, les personnels. Les ukases de traitements, venus d’en haut, entraînent une perte rapide du savoir-faire si précieux de nos médecins et soignants, qui nécessitera un énorme travail de formation dans l’avenir.
DD : Nous sommes dans un système détraqué à tous les étages selon vous. Comment en sortir alors ?
ND : Il faut une prise de conscience de la population, qui a encore trop tendance à faire l’autruche, et à n’ouvrir les yeux que lorsqu’un membre de sa famille ou lui-même est directement touché. Trop tard. L’élection présidentielle devrait être l’occasion de mettre le débat sur la santé sur la table, mais le début de la campagne n’en prend pas le chemin ?
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