Attali ou la mégalomanie narcissique!

Jacques Attali a déclaré le 29 septembre, sur Radio classique qu’il n’excluait pas de se présenter aux élections présidentielles de 2017. L’ancien conseiller spécial de François Mitterrand, de 1981 à 1991, explique cette soudaine vocation élyséenne par «l’absence de programme des candidats à la présidence de la République depuis trente ans». Il existe peu de précédents d’un ancien conseiller d’un chef de l’Etat tenté de briguer la plus haute fonction de l’Etat. Marie-France Garaud, conseillère de Georges Pompidou de 1969 à 1974, s’était présentée en 1995, réalisant un score dérisoire. Même si ses idées souverainistes étaient aux antipodes de celles d’Attali, défenseur de la mondialisation, sa démarche relevait du même état d’esprit: le sentiment que l’offre politique est inadaptée et la volonté d’apporter un souffle nouveau à la vie publique.

Une démarche de ce type se heurte au principe de réalité. Conseiller un chef de l’Etat est une mission de nature intellectuelle. Elle consiste à écrire des notes sur des sujets d’actualité, destinées à éclairer le président sur l’état d’un dossier et sur les différents choix politiques possibles, avec leurs avantages et leurs inconvénients, à lui proposer des éléments de langage et à rédiger ses discours. La mission de l’homme ou de la «femme de l’ombre» n’a pas grand chose à voir avec la confrontation électorale. Celle-ci passe inévitablement par l’épreuve du réel: quête de parrainages, recherche de financements et d’alliances, de soutiens, constitution d’une équipe. En outre, la communication et l’image personnelle sont au coeur du scrutin présidentiel.
Le candidat à la présidentielle est davantage un acteur qu’un créateur. Il gagne sur un slogan plutôt que sur la qualité d’un programme et d’une parole
accepter de se vendre et d’incarner par soi-même un message comme celui de «la France unie» chez Mitterrand en 1988, de l’énergie chez Sarkozy en 2007 ou de la «normalité» chez François Hollande en 2012. Le candidat à la présidentielle est davantage un acteur qu’un créateur. Il gagne sur un slogan plutôt que sur la qualité d’un programme et d’une parole

Mais plus généralement, la déclaration de Jacques Attali donne à réfléchir sur l’obsession présidentielle qui s’est emparée de la France. Les candidatures fantaisistes ont certes toujours existé, à l’image de celle de Coluche en 1980. Aujourd’hui, la profusion des «vocations» présidentielles ne relève en rien de l’humour ni même de la quête d’une tribune. Plus d’une vingtaine de personnalités ont officiellement ou implicitement révélé leur appétit présidentiel. Toute la vie politique française semble accaparée par la conquête, la reconquête ou la conservation de l’Elysée. Sur une longue période, la cote du chef de l’Etat est en déclin radical depuis une cinquantaine d’années. Le chef de l’Etat pulvérise aujourd’hui les records d’impopularité: autour de 20% de confiance, contre 60% minimum sous le Général de Gaulle. Qu’à cela ne tienne: tout le monde ou presque, dans les hautes sphères de la politique, se verrait bien à l’Elysée.

Il faut y voir le résultat de la sur-médiatisation du personnage présidentiel, positive ou négative, qui inonde l’information, accapare les ondes et les chaînes de télévision du matin au soir pour tout prétexte. Cette fixation de la vie publique sur un visage, culte médiatique de la personnalité, digne du plus obscur des régimes totalitaires, relève de la manipulation de masse. Dans un monde d’une infinie complexité, marqué par une dispersion et l’éclatement du pouvoir, ramener en permanence la chose publique à un individu dont le reflet médiatique est ainsi tantôt sublimé, tantôt diabolisé, écrasant le débat d’idées et la réflexion de fond, se présente comme un signe de mépris envers l’intelligence populaire. Le culte d’un personnage présenté de manière obsessionnelle, à travers un matraquage incessant, comme la clef de voûte de la vie collective, contraste avec l’incapacité chronique de l’institution présidentielle en elle-même, de décennie en décennie, à régler les problèmes de la France et des Français: chômage de masse, exclusion, échec scolaire, endettement, insécurité, inquiétudes identitaires, menaces planétaires.

L’obsession présidentielle est un signe patent de la folie narcissiste qui s’est emparée de la France dite «d’en haut». Le but suprême d’un homme politique national, candidat potentiel à la présidence, n’est pas de servir son pays mais de pavoiser sur le perron de l’Elysée avec la complicité du monde médiatique et sous le feu des caméras de télévision. Une simple lecture de la Constitution de 1958 devrait rappeler que le service du pays, le gouvernement de la France, est de la compétence du Premier ministre (article 20 et 21) appuyé sur l’Assemblée nationale, et non du chef de l’Etat qui «assure par son arbitrage régulier le fonctionnement des pouvoirs publics» (article 5). Seulement, le prestige de l’élection du suffrage universel et l’ivresse de la reconnaissance médiatique, sont à l’Elysée et non à Matignon. La présidence de la République, au-delà de son actuel titulaire, devient une sorte d’incarnation de la vanité stérile. Peu importe au fond d’être adoré ou détesté, ce qui compte, c’est la jubilation de paraître, d’apparaître en monarque médiatique, roi du vide, roi du néant, roi de l’illusion, mais roi quand même…
La déclaration de Jacques Attali apporte toutefois un élément nouveau dans ce contexte. C’est la figure de l’intellectuel, et à travers elle de l’esprit critique qui semble à son tour succomber à l’éblouissement élyséen et tout ce qu’il nous révèle sur l’état de la société française.

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