On croirait lire un extrait des Justes, de Camus, avec ces personnages un peu artificiels de terroristes métaphysiciens.
Le terroriste : « As-tu peur de mourir ? »
Sœur Hélène : « Non. »
Le terroriste : « Pourquoi ? »
Sœur Hélène : « Je crois en Dieu et je sais que je serai heureuse. »
Sauf que nous ne sommes pas au théâtre, mais dans la réalité : mardi 26 juillet 2016, 9 h, dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, le cadavre du prêtre Jacques Hamel gît dans une flaque de sang au pied de l’autel.
Depuis plusieur jours, ce dialogue entre les djihadistes égorgeurs et les deux sœurs restées dans l’église, rapporté par La Vie, nous questionne, à plusieurs niveaux.
Il faut d’abord admirer le courage, le sang-froid de ces religieuses qui, voyant l’horreur et leur dernière heure arrivée, ont continué à répondre et à témoigner de leur foi. Saluer aussi la réaction de la plus alerte, qui est allée chercher la force qui, seule, pouvait alors neutraliser les meurtriers.
Mais l’émotion ne doit pas empêcher la raison.
Ces deux djihadistes ont donc égorgé, filmé, prêché en arabe et en français, et saccagé l’autel.
Et puis ? Les sœurs nous disent qu’ils sont soudainement devenus très calmes. Sœur Huguette : « J’ai eu le droit à un sourire du second. Pas un sourire de triomphe mais un sourire doux, celui de quelqu’un d’heureux. » Et ce « bonheur » visiblement serein (satisfait du « devoir accompli » ?) du tueur est suivi d’un dialogue théologique, dialogue décrit comme « surréaliste » par les journalistes. Mais en fait pas si surréaliste.
Un des terroristes demande à Hélène si elle connaît le Coran. « Oui, je le respecte comme je respecte la Bible, j’ai déjà lu plusieurs sourates. Et ce qui m’a frappé en particulier, ce sont les passages sur la paix », répond-elle.
« La paix, c’est ça qu’on veut » lâche le tueur. « Quand vous passerez à la télévision, vous direz à vos gouvernants que tant qu’il y aura des bombes sur la Syrie, nous continuerons les attentats. Et il y en aura tous les jours. Quand vous arrêterez, nous arrêterons. »
Il y a visiblement paix et paix.
Avec Huguette, la discussion porte sur Jésus : « Jésus ne peut pas être homme et Dieu. C’est vous qui avez tort », assène l’autre terroriste. « Peut-être, mais tant pis », répond-elle, soulignant à La Vie qu’elle ne voulait « pas mettre de l’huile sur le feu et ne pas renier » ce qu’elle pensait.
Ce qui transparaît donc de cette « scène », c’est la maîtrise extrême de ces djihadistes qui, le sang du prêtre égorgé sur les mains, sont capables de pointer la grande différence théologique entre christianisme et islam : la divinité de Jésus, la raison pour laquelle ils ont égorgé le prêtre.
Après cela, qui oserait encore prétendre que ces individus sont fous et qu’il ne s’agit pas, là, d’une guerre de religion ?
C’est pourquoi on ne peut qu’être sceptique sur les mots de conclusion des sœurs : pour Danielle, « ce ne sont pas de vrais musulmans ».
En tout cas, eux et les milliers de djihadistes de l’État islamique se considèrent comme tels, beaucoup de musulmans les considèrent comme tels, et beaucoup trop de sourates valident leurs meurtres, ces sourates que, bien sûr, les sœurs ne pouvaient évoquer devant eux, mais que, nous l’espérons, elles ont aussi lues, ou liront.