Le 20 juillet 2015, le groupe de médias officiel de l’État islamique (EI) Al-Hayat a mis en ligne le cinquième numéro de son magazine en français Dar Al-Islam (Terre d’islam). Le numéro de 49 pages, qui comporte huit articles, a été diffusé via Twitter et est disponible sur Archive.org. Le magazine entend principalement montrer que l’EI est le seul Etat musulman légitime car il applique strictement la charia dans les territoires qu’il contrôle. Ainsi, le magazine propose des articles justifiant l’esclavage des mécréants et l’oppression des chrétiens. Le magazine contient également des instructions opérationnelles pour demeurer clandestinement en Occident tout en préparant une opération sur le sol occidental.
Ce cinquième numéro de Dar Al-Islam insiste sur le fait que l’EI applique la loi de la charia comme elle fut appliquée aux premiers jours de l’islam. Cet argument est le point central de la critique adressée par l’EI aux groupes djihadistes rivaux comme Jabhat Al-Nusra (JN), filiale d’Al-Qaïda en Syrie. Ces autres groupes islamiques, qualifiés d’apostats, sont désignés collectivement comme le « [mouvement] de coalition Sahawat » et accusés de mettre de côté l’application de la charia.
Dans le contexte actuel, le magazine semble être un moyen de diffuser le discours de l’EI auprès des partisans mondiaux du mouvement salafiste, dont l’EI prétend être le seul représentant légitime. Cet effort est crucial pour permettre à l’EI de recueillir un large soutien et pour poursuivre le recrutement, à la fois en Occident et dans le monde musulman. Les récentes publications de l’EI, comme le dernier numéro de son magazine en anglais Dabiq, révèlent que l’EI entend empêcher autant que possible que les recrues djihadistes étrangères rejoignent d’autres groupes djihadistes en Syrie ou en Afrique du Nord.
Examen des principaux articles du magazine
L’EI qualifie les autres groupes djihadistes en Syrie d’apostats
L’article de couverture, « La charia d’Allah ou la charia de l’homme », souligne que d’autres groupes djihadistes se sont compromis en s’alliant à des groupes rebelles laïcs, et par leur refus d’appliquer la charia immédiatement. Il dénonce leur refus de reconnaître l’autorité du califat. Telles sont les raisons pour lesquelles l’EI les qualifie d’apostats, ce qui, disent-ils, justifie la lutte contre eux. Cet article est une traduction d’un article déjà publié dans Dabiq.
Traitement des chrétiens sous le règne de l’EI
Le deuxième article vante la manière dont l’EI applique la charia dans le traitement qu’il réserve aux chrétiens qui, peut-on lire, sont protégés par le califat tant qu’ils respectent ses lois. L’article, intitulé « L’État islamique applique le jugement d’Allah » fait référence à un article au même titre paru dans le numéro précédent. Le document détaille les règles imposées aux chrétiens à Al-Raqqa, en Syrie, capitale de facto de l’EI.
L’article maintient que si les chrétiens paient la jizya [impôt] et respectent les lois, ils bénéficient de la protection totale de l’État islamique. Il cite le Coran et les hadiths pour montrer que cette politique de l’EI concernant les chrétiens est la seule option religieuse valable. Elle est présentée comme la conséquence directe du principe d’Al-Wala ‘wa Al-Bara‘ (loyauté envers les musulmans et hostilité envers les non-musulmans) et donc comme une obligation, ce qui fait que tout autre groupe djihadiste qui n’applique pas ce principe est considéré comme un apostat de l’islam.
La conclusion s’adresse directement aux membres de Jabhat Al-Nusra en ces termes : « Alors toi, soldat du front de Joulani [Jabhat Al-Nusra] qui as été trompé, cesse de combattre dans ce groupe d’apostats et d’offrir les terres dont tu fais la conquête aux laïcs et aux démocrates de l’armée libre et de ses alliés. Repends-toi à Allah avant qu’il ne soit trop tard et ne désespère pas de la miséricorde d’Allah. Si tu ne peux rejoindre les terres de Califat, que ton repentir soit d’actionner ta ceinture d’explosifs au milieu d’un QG de ces apostats, nous espérons que par cet acte grandiose Allah te pardonne d’avoir combattu avec eux. »
Justification de l’esclavage sexuel des femmes yazidies
Le troisième article soutient que l’EI applique la charia en faisant revivre la tradition islamique consistant à asservir les familles des mécréants capturés. Il s’étend longuement sur les fondements religieux du rétablissement de l’esclavage, y compris des conditions de viol légitime des femmes esclaves. Citant le Coran et des hadiths, l’article vise à montrer l’importance et les grands avantages de la renaissance de cette tradition islamique.
L’article se concentre principalement sur le peuple yazidi, expliquant que son statut a été longuement discuté par les érudits de l’EI. En conclusion, les Yézidis n’ont pas droit au statut de peuple protégé par le paiement de la jizya, comme le sont les juifs et les chrétiens, et ne sont pas non plus considérés comme des apostats de l’islam, car ils sont présentés comme un groupe qui existait à l’époque pré-islamique. Décrits comme des « adorateurs de démons et de Satan », les Yézidis sont classés dans la catégorie des païens et des polythéistes.
Ayant le statut de païens, leur asservissement est considéré par les érudits de l’EI comme légitime et justifié, indique l’article. Les hommes sont tués et, « après leur capture, les femmes et les enfants yazidis sont ensuite divisés selon la charia parmi les combattants de l’Etat islamique qui ont participé aux opérations de Sinjar, ensuite un cinquième de ces esclaves est transféré aux autorités de l’Etat islamique pour être distribué en tant que cinquième du butin […] Les familles yazidies asservies sont maintenant vendues par les soldats de l’Etat islamique comme les mécréants étaient vendus par les Compagnons (Qu’Allâh les agrée) avant eux. »
L’article se conclut par la présentation de quelques avantages et conséquences de l’esclavage sexuel des femmes : « Avant que Satan n’inspire des doutes au faible d’esprit et au cœur faible, ce dernier devrait se rappeler que l’asservissement de familles mécréantes et la prise de leurs femmes comme esclaves concubines est un aspect fermement établi de la charia, si il le dénigre ou s’il s’en moque, alors il se moque et il dénigre les versets du Coran et les hadiths du Prophète (Que la paix et le salut soient sur lui), et de ce fait il apostasie et sort de l’Islam. »
« Finalement, un nombre de savants contemporains ont signalé que le délaissement de l’esclavage a conduit à une augmentation d’al-fâhichah (adultère, fornication, etc.), ceci parce que l’alternative légiférée par la charia au mariage n’est pas réalisable, ainsi un homme qui ne peut pas se marier avec une femme libre se retrouve assiégé par la tentation du péché. En outre, de nombreuses familles musulmanes qui ont employé des domestiques dans leur maison ont dû faire face aux tentations de la beauté (isolement d’un homme étranger avec une femme) et à ce qui en résulte : la zina [rapports sexuels illégaux] entre l’homme et la domestique, alors que si celle-ci aurait été son esclave concubine, leur relation aurait été légale. Et ceci est encore la conséquence de l’abandon du jihad et de la poursuite de la dounya [biens du monde matériel], qu’Allah nous aide. »
Directives opérationnelles de recrutement de l’EI en Occident
Le dernier article phare du magazine offre des conseils pratiques et des instructions aux militants occidentaux de l’EI afin qu’ils puissent rester opérationnels sans éveiller les soupçons. Il appelle les partisans de l’EI à rester cachés, et offre quelques procédures de base en matière de sécurité opérationnelle et de communication, à utiliser dans « la guerre contre les ennemis d’Allah ».
L’introduction explique l’objectif de ce guide opérationnel : « Celui qui veut agir et élever la parole d’Allah et qui se trouve en terre de mécréance et de guerre doit pratiquer la dissimulation et s’habituer au secret. Afin de ne pas se faire arrêter par les agents du Taghout il doit suivre tout un ensemble de règles. Le fait de ne pas suivre ces règles par négligence, prétendant vouloir élever la parole d’Allah sur internet, est une grave erreur car c’est se nuire à soi-même, à sa famille et aux frères avec qui on travaille pour faire triompher la religion d’Allah. »
La première partie de l’article propose quelques conseils de sécurité en matière de communication, expliquant la nécessité d’utiliser un accès VPN, un logiciel de navigation TOR et un logiciel de cryptage pour enregistrer des documents. Il est recommandé à tous les partisans qui résident en Occident de suivre ces procédures et de rechercher de plus amples informations libres d’accès sur ces programmes.
La deuxième partie de l’article propose des directives opérationnelles concrètes, pour deux types d’agents : ceux qui cherchent à rejoindre l’EI, et ceux désireux de mener une opération sur un sol étranger. Pour les recrues potentielles qui souhaitent rejoindre l’EI, la discrétion est recommandée dans les préparatifs du voyage, et inclut le fait d’éviter de prier à la mosquée. L’itinéraire suggéré vers les territoires contrôlés par l’EI dans le Moyen-Orient est la voie terrestre, à travers les territoires de l’UE et la Turquie.
Pour les militants de l’EI qui veulent mener une opération en Occident, l’article met en garde contre la surveillance du gouvernement et offre des conseils pour dissimuler leurs véritables intentions. Par exemple, il recommande d’ « adopter un aspect ‘jeune de cité’ qui recherche à faire un casse avec une arme ». Il offre également des conseils et une liste de cibles valides : « Toujours viser les endroits fréquentés, tel que les lieux touristiques, les grandes surfaces, les synagogues, les églises, les loges maçonniques, les permanences des partis politiques, les lieux de prêche des apostats, le but étant d’installer la peur dans leur cœur. »
L’article comporte des photos de loups solitaires de l’EI et appelle à des attaques « avec n’importe quel moyen qui est à votre disposition, ne serait-ce qu’avec un simple couteau de cuisine ou un autre objet tranchant comme des cutters, comme l’a fait notre frère Michael Adebolajo en tuant un soldat du tyran britannique”.
Ce numéro contient un article résumant les dernières nouvelles des activités de l’EI, dont des photos de ses dispensaires médicaux. Enfin, un court article intitulé « Dans les mots de l’ennemi », calqué sur Dabiq, cite un article et une vidéo de l’AFP sur la menace que représente l’EI. Les auteurs utilisent des citations de médias occidentaux pour montrer comment l’EI a accompli son objectif de devenir un réel danger pour l’Occident. Le magazine contient de nombreuses photos, et plusieurs pages de promotion d’autres productions et publications de l’EI.