Désormais, on peut officiellement avoir la moyenne avec un hors-sujet: on n’arrête pas le progrès!!! Suite à l’erreur dans l’épreuve de physique-chimie du bac S 2015, les critiques du baccalauréat se font de nouveau entendre. Jean-Rémi Girard, professeur de français, secrétaire national à la pédagogie au Syndicat national des lycées et collèges (Snalc), nous explique comment les notes sont rehaussées pour augmenter le nombre de lauréats.
Imaginez une organisation à qui l’on aurait confié la charge d’organiser un grand événement et qui, dans le même temps, chercherait par tous les moyens à ce qu’on supprime l’événement en question de la face du monde. Absurde, n’est-ce pas? C’est pourtant très exactement le rapport qu’entretient l’Éducation nationale avec le baccalauréat. On ne compte plus les rapports, les personnes haut placées (ou bien placées), les «spécialistes» qui recommandent d’en finir avec ce monument fissuré et lézardé, qui appellent à faire passer le bac en contrôle continu (comprenez en supprimant toutes les épreuves finales), voire à ne plus le faire passer du tout. Et de déplorer les coûts qu’il entraîne, en n’hésitant pas à proposer des calculs parfaitement fantaisistes d’ailleurs afin d’impressionner le chaland.
Alors, inutile, le bac? En réalité, il est d’autant plus inutile qu’on s’évertue à le rendre tel. Censé être le premier grade universitaire, on n’a eu de cesse de le déconnecter de l’entrée dans le supérieur. Supposé rendre compte du niveau réel des futurs étudiants, on l’a transformé en cache-misère du système éducatif, trafiquant les résultats afin qu’ils correspondent aux objectifs affichés en amont.
Le bac est chaque année davantage fragilisé. Tout le monde sait que l’on magouille pour aboutir aux merveilleux pourcentages de réussite, qui ne masquent plus les moins merveilleux pourcentages d’échec à l’université.
Et c’est pour cela que, chaque année, vous entendez désormais parler des consignes de correction, des barèmes des épreuves et des commissions d’harmonisation. Car le bac est devenu une machine à produire des chiffres, et il faut que ces derniers soient bons. En 2014, les connaisseurs avaient apprécié l’épreuve de mathématiques notée sur 24, ou bien encore le changement de barème en physique-chimie en cours de correction, afin de mettre davantage de points sur les questions faciles, et moins sur celles plus ardues.
Cette année, rebelote: la physique-chimie est encore à l’honneur, et les même causes produisent les mêmes effets. Les premiers résultats remontés par les correcteurs ayant été catastrophiques, on a réétudié la situation afin de faire coller les notes mises aux moyennes attendues. C’est ce qui est fabuleux dans la magie du bac: si les résultats sont mauvais, cela signifie que c’est le sujet qui était mauvais, et non pas les élèves. Ainsi, la dégradation du niveau scientifique de nos lycéens ne s’expliquerait pas, comme ose l’écrire l’Union des professeurs de physique-chimie, par la diminution des horaires consécutive à la réforme du lycée de 2010, associée à des programmes parfaitement inadéquats. Non: il s’agirait simplement d’un sujet mal conçu. Et pourtant, c’est bien l’UDPPC qui a raison: notre hiérarchie refuse d’admettre «le fossé abyssal qui s’est creusé entre les attentes du programme et le niveau moyen des élèves sortant de terminale S.»
Et si vous avez aimé les magouilles en physique-chimie, vous allez adorer celles en français: un élève de S et de ES qui aurait commenté le mauvais texte sera quand même noté sur la moitié des points! Désormais, on peut officiellement avoir la moyenne avec un hors-sujet: on n’arrête pas le progrès. Sans compter qu’aux directives nationales viennent se rajouter toutes les consignes locales, parfois écrites, souvent orales, toujours à base de «valoriser» et de «bienveillance». Dernier exemple en date, à Versailles, on n’a pas hésiter à menacer les correcteurs de l’épreuve d’histoire-géographie de terminale S de «sanctions» s’ils n’étaient pas assez indulgents. Le message a été retiré, mais l’idée, elle, est bien restée.
Ainsi, le bac est chaque année davantage fragilisé. Tout le monde sait désormais que l’on magouille pour aboutir aux merveilleux pourcentages de réussite, qui ne masquent plus les moins merveilleux pourcentages d’échec à l’université. Tout le monde se rend bien compte que le «niveau» pour avoir le bac ne correspond pas au «niveau» fixé par des programmes scolaires impossibles à mettre en œuvre dans les conditions d’enseignement proposées aux élèves et aux collègues. Il est alors très facile de faire, lentement mais sûrement, progresser l’idée que le bac ne sert plus à grand chose, et qu’il faut le réformer — entendez par-là le supprimer.