ll y a quarante ans, Hercule Poirot quittait la scène!

— En 1975, « Poirot quitte la scène » — tel est le titre du dernier roman où Agatha Christie, voici quarante ans, faisait intervenir, et mourir, son héros fétiche. Camille Galic, vous êtes l’auteur d’une biographie de la « duchesse de la mort » qui est une mine de renseignements et d’éclairages nouveaux. Comment fut accueilli ce décès ?

— Comme un événement : Le New York Times consacra quatre colonnes de « nécro » à Hercule Poirot. C’était la première fois dans l’histoire de la presse internationale qu’un personnage de fiction était ainsi honoré, à l’instar d’un chef d’Etat ou d’un savant bienfaiteur de l’humanité ! Et sans doute le petit détective belge méritait-il cet hommage, car il avait donné du bonheur à des millions de lecteurs.

— Sa créatrice suivit Poirot dans la tombe un an plus tard. Comment le public de 2015 considère-t-il une romancière qui était née en 1890, autrement dit la Préhistoire ?

— Le mystère – ou le miracle – est que, depuis la mort de Dame Agatha, la vente de ses romans a quasiment quadruplé, la vogue de leurs versions numériques prouve l’engouement des jeunes générations et leur succès intact se joue des clivages sociaux et professionnels, puisque l’atelier théâtre des salariés de Turbomeca Tarnos, dans les Landes, monte cette année Les Dix Petits Nègres (roman rebaptisé Et s’il n’en reste qu’un dans la version Polit’Correct états-unienne). Le Meurtre de Roger Ackroyd a été sacré en 2013 « meilleur roman policier de tous les temps ». Les adaptations de ses livres ou même de ses nouvelles se multiplient à la télévision. La série britannique Hercule Poirot fait les beaux soirs de TMC, France 2 a battu des records d’audience avec les épisodes des Petits Meurtres d’Agatha Christie, les Américains préparent une nouvelle série sur Miss Marple. Au cinéma, le réalisateur Ridley Scott produit une nouvelle adaptation du Crime de l’Orient-Express (paru en 1934 et déjà adapté par Sydney Lumet en 1974 avec Albert Finney dans le rôle de Poirot), et M6 attend beaucoup de son émission La Taupe, tournée en Afrique du Sud dans le Parc Kruger et que la chaîne présente comme « un immense Cluedo à ciel ouvert avec une galerie de personnages dignes d’un roman d’Agatha Christie » — laquelle reste donc la référence obligée.

 

8364-P7-Agatha-Christie— Comment expliquer cette pérennité ?

— Face à la mondialisation et à la standardisation croissantes, les gens ont besoin de repères identitaires. Même quand elle situe ses intrigues sous d’autres cieux comme en Mésopotamie, même quand ses personnages sont étrangers, comme le Belge Poirot – qui, il est vrai, se targue de connaître comme pas un l’histoire et la littérature britannique –, l’univers de Christie est tout imprégné d’Englishness, elle aime dépeindre les paysages de son Devon natal, ressusciter l’empreinte encore victorienne qu’elle a connue dans son enfance.

— Depuis la parution de votre livre qui, pour la première fois, en France en tout cas, faisait une très large place à la Weltanschauung d’Agatha Christie en matière politique, sociétale et religieuse (défense de la peine capitale, des traditions, de la messe en latin, méfiance d’un progrès technologique indéfini) telle qu’elle transparaît dans ses romans et dans son autobiographie, de nombreux articles ont été publiés, notamment dans L’Express et Le Monde, pour dénoncer ses tendances « réactionnaires », voire « racistes ». Par exemple quand elle évoque l’âpreté des Juifs ou ce « pays d’enfants géants » qu’est la « cruelle » Afrique. Qu’en pensez-vous ?

— Ce qui m’étonne, c’est qu’on ne s’en soit pas avisé avant, car elle ne cachait pas son jeu ! Mais il est imbécile de la juger selon nos critères actuels. Pour se dédouaner d’avoir ressuscité Poirot dans ses Meurtres en majuscule (livre très nul, soit dit en passant, car l’intrigue est emberlificotée, les personnages falots et le style d’une rare platitude), l’universitaire Sophie Hannah – dont le père, le professeur Norman Geras, est un spécialiste de l’antisémitisme – a prétendu dans Actualité juive qu’« Agatha Christie déroulait les préjugés en cours à son époque pour mieux les saper ». C’est un contresens. Agatha et son héroïne Jane Marple, qu’elle aimait tant, sont de leur temps, tout comme Jules Ferry et nos illustres républicains qui plaçaient über alles l’homme blanc et sa civilisation. Un temps retrouvé, me semble-t-il, après un demi-siècle d’incessantes repentances. On assiste à un retour du religieux et du principe de réalité avec la fin des illusions sur les bienfaits de la « diversité » et l’homme infiniment bon. 52 % des Français, toutes sensibilités politiques confondues, se disent ainsi favorables à la peine capitale contre 45 % l’an dernier et la hausse est encore plus spectaculaire chez les sympathisants socialistes : 15 points !

Agatha Christie, qui souhaitait « une tasse de ciguë » pour les criminels, et Poirot qui pourchasse ceux-ci sans relâche étaient ainsi des précurseurs, voire des archéo-futuristes. Je leur prédis donc un destin à la Dumas pour la première et à la d’Artagnan pour le second !

Propos recueillis par Françoise Monestier pour Présent

Agatha Christie, éd. Pardès, collection Qui suis-je ? 128 pages avec illustrations (dont le portrait de Dame Agatha par Chard, publié ici), 12 euros.

Camille Galic signera son livre le 14 juin à la fête de Radio Courtoisie, au stand du professeur Alain Lanavère.

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