Présent avait employé le mot de « chef-d’œuvre » pour qualifier l’avant-dernier film de Hirokazu Kore-eda, Notre petite sœur (numéro du 7 novembre 2015), évocation d’un nouvel équilibre familial créé autour de trois sœurs dont les parents s’étaient séparés, équilibre encore renforcé par la découverte et l’accueil d’une jeune demi-sœur. Après la tempête, film retenu à Cannes en 2016 dans la sélection Un certain regard, traite lui aussi, et de manière aussi subtile, de liens familiaux difficiles à maintenir.
Ryota Shinoda a écrit un roman et s’est pensé écrivain, mais il a laissé passer les années et se contente de vivre d’expédients, se retrouvant détective privé et surtout dépensant ses maigres ressources dans le jeu, espérant toujours « se refaire ». Séparé de sa femme qui a renoncé à le voir changer, il accepte difficilement cet éloignement et, surtout, se rend compte que le contact avec son jeune fils reste essentiel pour lui. Mais peut-il aller contre cette nature profonde qu’il a tendance à suivre, non pas comme le recommandait Gide (« Il faut suivre sa pente, mais en la remontant »), mais au contraire en mettant ses pas dans ceux de son père, joueur et profiteur de sa famille ?
Le film s’articule de fait autour de la figure de la grand-mère, interprétée par Kirin Kiki, une fois encore remarquable, sorte de pivot autour duquel gravitent tous les protagonistes. Mais pourquoi, malgré son ton toujours très juste, n’a-t-il pas le même élan que Notre petite sœur ?
L’explication réside sans doute dans une des remarques de la vieille femme : les hommes (elle pense à son mari et à son fils, il s’agit donc des hommes particulièrement, non de la nature humaine) « ne peuvent aimer le présent, ils regrettent le passé ou courent après des rêves », symbolisés ici par les espoirs de gains au jeu. Que peut répondre Ryota à cette question de Shingo, son jeune fils : « Es-tu devenu ce que tu voulais être ? » Il n’est pas simple de devenir l’adulte de ses rêves… Cette constatation douce-amère justifie sans doute un ton pour l’accompagnement duquel le réalisateur n’a pas retrouvé la beauté formelle qui nimbait Notre petite sœur. Le cinéaste se renouvelle sans se répéter, mais on ne peut s’empêcher de regretter le souffle qui animait son précédent film.