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Né à Lessines, près de Charleroi, le 21 novembre 1898, Magritte était de souche française du côté paternel, Magritte étant une déformation de Margueritte (ce qui apparentait le peintre à Paul Margueritte, auteur de La Garçonne). Voyageur de commerce, aimant le jeu et les femmes, Léopold Magritte, le père, verra ses affaires prospérer, puis péricliter ; la mère, Régina Bertinchamps, appartient à la moyenne bourgeoisie locale. Deux autres garçons, Raymond et Paul, naissent en 1900 et 1902. À l’école, Magritte est un élève studieux, à la sexualité précoce, dont la piété s’accompagne d’un goût pour le blasphème et la dissipation, et qui s’enthousiasme pour le Zigomar de Léon Sazie et, plus encore, pour la série des Fantômas d’Allain et Souvestre. En 1912, Régina Magritte, dépressive, est retrouvée noyée dans la Sambre. De ce suicide, qui n’a pas pu ne pas le marquer profondément, son fils refusera de parler toute sa vie durant.
C’est pendant la guerre, alors que la Wallonie est occupée par les Allemands, que la vocation du peintre s’affirme. En 1916, il s’inscrit pour un temps à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles ; il y a pour condisciple Paul Delvaux, dont il n’aimera jamais la peinture. Il suit par ailleurs l’enseignement du peintre Constant Montald et fréquente la bohème moderniste bruxelloise, s’agrégeant à un groupe intitulé 7 Arts. Peu familier au lecteur français, ce monde est évoqué par Michel Draguet avec vigueur et précision. En 1920, Magritte fait une rencontre capitale, celle du poète et musicien E.L.T. Mesens, le principal introducteur de Dada en Belgique ; grâce à lui, Magritte, qui jusqu’alors a subi principalement l’influence du futurisme italien, découvre la nouvelle avant-garde née de la guerre et va progressivement s’éloigner de 7 Arts. La même année, il retrouve une amie d’adolescence, Georgette Berger, qui deviendra sa femme en 1922. Pour vivre, il travaille comme graphiste pour une entreprise de papiers peints, puis en dessinant des affiches et publicités. Il ne faut d’ailleurs pas voir là, comme le souligne le biographe, une activité purement alimentaire, car elle va participer à l’émergence du Magritte que nous connaissons. En 1924, autre rencontre capitale : le poète et critique Paul Nougé, qui l’initie au surréalisme. Sous l’influence de Giorgio De Chirico et de Max Ernst, la peinture de Magritte connaît un nouveau départ : lorsqu’en 1926 se constitue un groupe surréaliste bruxellois, il en fait partie, aux côtés de Mesens et de Nougé, rejoints peu après par Louis Scutenaire, qui en deviendra l’un des membres les plus actifs et écrira plus tard sur le peintre. Cette période d’intense production est marquée par une première exposition solo à la galerie Le Centaure en 1927 : on y voit l’une de ses premières grandes toiles, Le Jockey perdu. La même année, Magritte s’installe à Paris, ou plus exactement au Perreux-sur-Marne. Il fait la connaissance de Dalì et passe un été à Cadaquès avec Éluard, avec lequel se tissent des liens d’amitié durables. Avec André Breton, en revanche, Magritte rompt pour quelque temps en 1929, le poète ayant exigé que Georgette Magritte ôte la croix qu’elle portait au cou.
La crise, qui frappe durement le marché de l’art, freine la carrière de Magritte. N’ayant obtenu aucun succès à Paris, il regagne la Belgique en 1930 et délaisse un temps la peinture au profit de la publicité. Il continue néanmoins d’être exposé par Mesens, qui a ouvert sa propre galerie, et au Palais des beaux-arts. Si Magritte peint peu, sa peinture connaît une évolution qui n’est pas loin d’être une révolution : à l’instar de la poésie surréaliste, elle provoque des courts-circuits autant sémantiques qu’esthétiques par des rapprochements étranges d’éléments inattendus, encore que pas forcément lointains, comme l’œuf qui remplace l’oiseau dans la cage. C’est le début de la grande période de Magritte, dont une autre innovation capitale est de faire entrer les mots dans la peinture, ce que peu avaient fait avant lui. En 1936 Julien Levy commence à l’exposer à New York, où il est présent l’année suivante à la fameuse exposition “Fantastic Art, Dada, Surrealism” du musée d’art moderne, tandis qu’à Paris Magritte expose régulièrement avec les surréalistes. À Londres, où il se fait connaître lors de l’“International Surrealist Exhibition” de 1936, il acquiert un mécène de poids en la personne d’Edward James.
Lorsque la Belgique est envahie par les troupes nazies, Magritte se réfugie quelques mois en France. Sous l’Occupation, il pratique un “exil intérieur”, qui prend notamment la forme d’une période“impressionniste”, dont on retrouve la trace dans les illustrations qu’il réalise alors pour les Chants de Maldoror de Lautréamont. Ce “surréalisme en plein soleil”, ainsi qu’il l’appellera, ne sera pas du goût de Breton, ni d’ailleurs de la critique dans son ensemble, et Magritte y renonce après la guerre. Lui succède une période dite “vache”, qui coïncide, en 1948, avec une première exposition personnelle à Paris à la Galerie du 47 : elle se solde par un échec complet, après lequel Magritte revient à sa grande manière.
En 1946 Magritte a acquis un nouvel agent en la personne d’Alexandre Iolas, qui vient d’ouvrir sa galerie à New York et le représentera jusqu’à la fin, même si leurs relations sont parfois tendues. Le surréalisme est désormais pris très au sérieux par les collectionneurs et musées américains. Ce succès international a pour conséquence une consécration de Magritte dans son pays, qu’il représente officiellement à la Biennale de Venise en 1955, et où de nombreux collectionneurs se disputent ses œuvres. Des rétrospectives ont lieu à Dallas et à Houston en 1960, puis — consécration suprême — au MoMa en 1965, offrant à Magritte l’occasion de découvrir l’Amérique, où il passe à just titre pour un pionnier du Pop Art et de l’art conceptuel. C’est un artiste en pleine gloire qui est emporté, le 15 août 1967, par le cancer au pancréas qu’on vient de lui déceler.
Au terme de cette biographie, on reste sur l’impression que si mystère il y a, Magritte ne le livre pas facilement. Des zones d’ombre subsistent, par exemple, autour de son engagement politique : à trois reprises adhérent au parti communiste (1932, 1936, 1945), et se proclamant sympathisant, il n’aurait été guère plus, selon Michel Draguet, qu’un compagnon de route ? Et on aimerait bien savoir ce qu’il en est exactement de ce “nombre substantiel de faux” (dont au moins un dessin de Picasso) que Magritte aurait manufacturés et écoulés pendant la guerre, aux dires de son “complice” Marcel Mariën. D’autres détails révèlent de surcroît que Magritte n’était pas toujours carré en affaires… On s’interroge aussi sur sa méfiance vis-à-vis de la psychanalyse chez ce peintre de l’“inquiétante étrangeté” chère à Freud ; ce serait là l’un des grands points de divergence avec Breton, mais nullement le seul.
Fondateur du Musée Magritte et directeur général des Musées royaux de Belgique, Michel Draguet était la personne idéale pour écrire cette biographie, qui est d’une lecture aussi agréable qu’instructive. On l’aurait voulue encore plus illustrée, mais on ne peut pas tout avoir, et, tel qu’il est, le cahier couleur est attrayant. On peut regretter l’absence d’un index, qui aurait certainement permis de rajouter le l manquant à Soupault et de trancher entre Louis (p. 64) et Léon (p. 65) pour le prénom de L. Pringels. Et peut-être de s’apercevoir qu’un e parasite avait défiguré le titre de l’opéra-comique de Lecocq, La Fille de Madame Angot, créé à Bruxelles qui plus est !