Par Samuel
La visite au professeur Bergamotte est un des épisodes les plus captivants, question atmosphère et suspense, des aventures de Tintin. Mais tout l’album baigne dans l’inquiétante ambiance de malédiction. Aussi ouvre-t-on avec impatience ce qui a été présenté comme « une première version quasiment inédite de l’album Les sept boules de cristal ».
On la referme avec le sentiment d’avoir été victime de Rascar Larnac.
Entre la version noir et blanc parue en épisodes dans le journal Le Soir en 1943-1944 et la version de l’album parue en 1948, les différences sont minimes.
Chaque jour, dans le journal, paraît un strip long ; avec trois de ces strips, Hergé compose une page d’album de quatre strips courts. L’auteur ayant prévu cette adaptation, il n’y aucune modification réelle. Hergé ne redécoupe pas le récit. Pas d’ajout ou de développement dans l’album, il s’agit de suppressions ici ou là, portant sur des points purement anecdotiques. Quelques cases seront agrandies pour développer le décor, par exemple celle qui représente le riche salon de l’ethnographe Marc Charlet, avec ses trophées de chasse et ses œuvres d’art « premier ». Hergé introduira dans l’album quelques très grandes cases, pour donner du relief à certaines scènes : le capitaine Haddock entrant en scène avec une tête de vache ou victime d’une grue dans le port de Saint-Nazaire.
Cela fait peu. Nous ne sommes pas en présence d’une aventure parue en noir et blanc qu’Hergé aurait entièrement redessinée, comme c’était le cas avec les premières aventures. Les tintinophiles seront déçus. Pas les tintinologues, évidemment. Car la bande dessinée, page de droite, est accompagnée d’un commentaire, page de gauche.
Erudition
Philippe Goddin, grand connaisseur d’Hergé et de son œuvre, est allé puiser dans les archives de l’auteur. La civilisation inca a fait l’objet de recherches documentaires, pas toujours rigoureuses. Des croquis montrent qu’Edgar P. Jacobs a posé pour certaines scènes : il est tour à tour Ramon Zarate lançant le couteau, le professeur Bergamotte montrant la momie dans sa vitrine, la momie qui lance la boule de cristal dans le rêve de Tintin, etc. Le professeur Bergamotte ressemble étonnamment au professeur Grossgrabenstein qui apparaît dans Le mystère de la grande pyramide. Ce n’est pas un hasard, les deux personnages eurent le même modèle, l’égyptologue Jean Capart.
Les lecteurs du Soir ne connurent pas la fin de l’histoire des sept boules de cristal. Début septembre 1944, la Libération interrompit le récit à ce qui est la planche 48 de l’album. Hergé connut les tracas de l’Epuration, une quarantaine qui l’éloigna de la publication mais lui permit de se consacrer à la refonte des anciens albums. Les aventures reprendront dans le journal Tintin en 1946.
Casterman et les éditions Moulinsart ont coédité ce volume I de La malédiction de Rascar Capac, le volume II est annoncé pour l’automne : on suivra Tintin jusqu’au Temple du Soleil. « Edition collector ultime ! », disent les éditeurs. C’est exagéré. Répétons-le : seuls les tintinologues goûteront l’intérêt d’un tel album.