Par Nicolas Tandler
Le ministre de la Justice, C. Taubira, se trouve dans une position très forte. Adulée par la gauche du Parti socialiste, elle demeure dans le ministère Valls comme indispensable à sa majorité parlementaire. Du coup, elle a aussitôt lancé une nouvelle attaque contre les fondements de la société française. Cette fois-ci dans le domaine social. L’opération vise dans un premier temps les tribunaux de commerce. Mais elle les dépasse, et de loin.
« Les tribunaux de commerce sont des juridictions du premier degré, composées de juges élus (3 200 en tout) et d’un greffier » (art. L.721-1 du Code de Commerce). Leur compétence s’étend à toutes les contestations entre sociétés commerciales, commerçants et toute personne au sujet d’actes de commerce. Autrement dit, à toutes les entreprises et au-delà. D’où proviennent leurs juges ? Ils sont élus dans le ressort d’une juridiction par un collège composé de délégués consulaires, eux-mêmes désignés par le vote des chefs d’entreprise et par des juges du tribunal ainsi que par d’anciens juges (art. L 723-1). Cette composition s’appelle l’échevinage. C’est ce que Mme Taubira entend supprimer.
Qui remplacerait les juges élus ? Des magistrats professionnels, selon un projet de loi (donc du gouvernement) de février 2014. Au départ, il n’y en aura qu’une centaine, dans les 135 tribunaux de commerce existant sur le territoire national. Les présidents élus deviendront donc de simples assesseurs, subordonnés à ceux désignés par le garde des Sceaux. L’Etat deviendra par conséquent le maître absolu des tribunaux de commerce. Il suffira de rappeler que toutes les grandes affaires sociales passent par les juges consulaires (en ce moment, SNCM, etc.) pour en mesurer l’importance. De fait, dès le 7 mars 2014, puis par une ordonnance du 16 avril (hors débat parlementaire), Mme Taubira bouleversait le fonctionnement de la juridiction en supprimant sa possibilité de passer d’une procédure de sauvegarde d’entreprise à un redressement judiciaire, et de ce redressement à une liquidation. Elle réduisait ainsi l’échevinage à peu de chose. Par ailleurs, par le biais de « délocalisations », plusieurs « petits » tribunaux seront supprimés.
Qu’objecte-t-on aux initiatives, en cours et imminentes, de Mme Taubira ? Leur coût, entre autres. Les juges consulaires sont bénévoles, les magistrats professionnels rétribués. Au demeurant, il manque au bas mot plus de 400 de ces magistrats dans d’autres juridictions. Pour la Place Vendôme, peu importe. Il s’agit de remplacer des chefs d’entreprise par des fonctionnaires. Or les écoles de la magistrature n’ouvrent ni sur la gestion d’entreprise, ni sur l’économie, connaissances indispensables afin de trancher sur leur sort. Alors sera invoqué, inspiré par le collègue ministériel de Mme Taubira qu’est Arnaud Montebourg, le passé. Il y a eu de trop nombreuses affaires de corruption, accompagnées de drames, concernant des juges consulaires et des mandataires et administrateurs judiciaires. A. Montebourg s’était illustré, en 1994-1995, par des philippiques très violentes contre les tribunaux de commerce, y compris à Paris, en plein tribunal de commerce, où son discours enflammé frôlait l’appel au lynchage. En faisant attention, on décelait qu’il visait surtout des individus indignes, certes, mais circonscrits au milieu des loges maçonniques de la GLNF (Grande Loge Nationale de France), présumée « à droite ». Or, la corruption s’étendait aussi à d’autres. Depuis, bien qu’on ne saurait jurer de rien, les actes délictueux semblent avoir régressé.
Au demeurant, supprimer cet échevinage constituera un précédent décisif pour abolir, sous le prétexte de « réforme », d’autres juridictions de même type. Les conseils de prud’hommes se situent déjà sur la ligne de tir. Rappeler qu’un juge professionnel est affecté à chaque conseil, afin de « départager » les affaires en balance, ne sauvera pas l’institution. Pas plus que d’autres, telles les TASS (Tribunaux des Affaires Sociales), les TCI (Tribunaux du Contentieux de l’Incapacité)… Les assesseurs y siégeant finiront par être éliminés. L’enjeu s’avère simple : un choix entre une justice théorique, coiffée par les gouvernements en place, et une autre, impliquant des personnes représentatives et expérimentées, parfois insuffisantes ou peu intègres (et alors éliminées). Soit un totalitarisme hypocrite, soit une justice pas parfaite, mais contestable et amendable.