En une société où tout s’accélère, il était assez inévitable que les slows disparaissent de nos boîtes de nuit. Pareillement, alors qu’il n’y a pas si longtemps, il était coutume de danser à deux, l’individu roi préfère se trémousser tout seul. Et voilà désormais quinze ans que le slow n’est plus qu’un agréable souvenir.
Pourtant, il subsiste encore quelques irréductibles pour estimer que le passé puisse encore avoir de l’avenir. Un certain Patrice Geny, par exemple, directeur de l’Office de tourisme de Strasbourg, qui, depuis six ans, organise chaque année une « Slow party » à la Saint-Valentin. Interrogé par nos confrères du Parisien, ce dernier des Mohicans affirme aujourd’hui refuser du monde : « Nous accueillons plus de huit cents danseurs, mais on pourrait en avoir jusqu’à trois mille, tant on refuse du monde. »
Le brave homme que voilà, qui a compris que le slow présente quelques avantages incontestables, le premier consistant à permettre à ceux qui ne savent pas danser de danser quand même un peu. Et sans oublier l’essentiel, évidemment : attraper des filles. Ce qui n’est pas rien, surtout pour les garçons modérément doués pour les arts oratoires, le slow permettant d’éviter des conversations qui, se voulant drôles, ne participent parfois que du comique involontaire.
Le mieux est évidemment de lier les deux, les mots doux glissés à l’oreille et le frottement des corps ; pas trop appuyé, le frottement, d’ailleurs, histoire d’éviter que l’objet du délit en devenir ne vous lâche, comme Mae West dans un de ses films, alors qu’un vieil ami la serrait d’un peu trop près dans ses bras : « Tu es venu armé ou c’est juste la joie de me revoir ? »
L’autre avantage du slow consiste encore à ce verdict immédiat et sans appel que sont le râteau qui se prend ou la pelle qui se roule. C’est un art à part entière, que certains pratiquaient jadis avec une intensité telle qu’ils auraient pu, sans problèmes, ouvrir une jardinerie. Et puis, le slow, ça fait aussi des souvenirs. On se rappelle toujours de celui sur lequel on a échangé son premier baiser. Et c’est ainsi qu’on se constitue une sorte de discothèque amoureuse.
Bien sûr, les plus doués savaient aussi danser le rock – encore une danse à deux. On reconnaissait au premier coup d’œil les nénettes des beaux quartiers, qui l’exécutaient « à la Versaillaise », avec des mouvements d’avant-bras évoquant ceux des essuie-glaces de la voiture à papa. Pour les plus habiles, une technique bien fourbe permettait de faire tournoyer les donzelles sur elles-mêmes, et ce, assez vite pour que leurs jupes se changent en corolles. On savait ainsi qui portait des collants ou, bonheur suprême, des bas. Dans ce dernier cas de figure, malheureusement trop rare, nos palpitants cognaient aussi vite et fort que Charlie Watts, le très distingué batteur des Rolling Stones.
À ce propos, on ne saurait savoir assez gré à ce sympathique orchestre anglais de nous avoir gratifiés de deux slows « historiques », comme on dit à la télévision : « Angie » et « Fool to Cry », qui étaient d’ailleurs d’impitoyables pièges à greluches, autant que je m’en souvienne.
Comme assureraient les cuistres, le slow et autres danses remontant maintenant à l’époque de la famille Pierrafeu participaient également à la nécessaire socialisation des jeunes. Il paraît que, de nos jours, il y en a qui préféreraient compter fleurette sur Internet ou, quand daignant se risquer sur les pistes de danse, sautiller sur place en se fracassant les vertèbres sur de la musique jouée à la presse hydraulique par des plombiers-zingueurs au bord de l’épilepsie.
On notera, pour conclure, que Patrice Geny, bienfaiteur de l’humanité, entend faire de Strasbourg la capitale européenne du slow. Non content d’avoir du goût et de l’esprit, il a de l’ambition. Un brave homme, qu’on vous dit.
Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire