L’idée d’un “vote caché” est utilisée par plusieurs prétendants à l’Elysée pour soutenir l’idée qu’ils feront mentir les sondages.
“Cachez ces voix que je ne saurais voir”: de Manuel Valls au Front national, en passant par le camp filloniste, l’hypothèse d’un “vote caché” fait office, au choix, de chiffon “rouge” justifiant le ralliement à Emmanuel Macron, de gonflette électorale avant une défaite annoncée au second tour, ou de raison d’espérer une surprise bis de la primaire de la droite.
Honte de son vote
La thèse du “vote caché” est simple: un citoyen interrogé par un institut de sondage ne donne pas toujours son vote véritable. Historiquement, ce concept décrit d’abord un comportement électoral observé chez les électeurs du Front national qui, sous le coup d’un mélange de honte et de pression sociale, ne se prononçaient pour l’extrême droite qu’une fois dans le secret de l’isoloir.
Dans Libération, Jérôme Fourquet, de l’Ifop, remet en cause la pertinence du “vote caché” aujourd’hui: “Les sondages sont aujourd’hui quasiment tous réalisés par Internet. Donc le fait de ne pas oser dire pour qui on vote ne se pose pas. On n’est pas en face-à-face ou au téléphone avec un enquêteur. On est devant son écran. Cet argument ne tient pas. La preuve, c’est que quand on demande aux gens pour qui ils ont voté avant, c’est très proche du réel, ce qui n’était pas le cas avant au téléphone.”
Cependant reprise pendant la campagne par Nicolas Sarkozy en 2012, puis lors de son retour perdant de la primaire de la droite en 2016, l’idée d’un “vote caché” a été distordue par les sarkozystes: en plus d’un vote “honteux”, elle intègre désormais l’argument nébuleux de la surmobilisation d’un électorat dans l’angle mort des instituts de sondage jusqu’à l’élection, comme les personnages âgées pour François Fillon en novembre.
Tactiquement, l’argument colle parfaitement à la campagne du candidat Les Républicains. Mais François Fillon n’est pas le seul à miser sur cette mécanique: “les électeurs vont retrouver les fondamentaux du vote pour Benoît Hamon, prédit ainsi le premier secrétaire du parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis dans L’Opinion, ils vont réactiver le clivage gauche-droite”. Le patron du PS en est sûr: dans le secret de l’isoloir, les sympathisants PS vont voter pour le candidat du parti, par “réflexe”.
Plus que caché, le vote des électeurs est surtout pour le moment indécis. Avec un taux d’abstention annoncé dans les intentions de vote à 37% – un record pour une élection présidentielle – les électeurs cachés risquent fort de ne jamais sortir du bois.
En outre, selon un sondage Odoxa pour France Info publié le 24 mars, 43 % des Français ne savent toujours pas pour qui voter. De quoi ébranler l’idée d’une masse silencieuse acquise à un candidat, prête à se mobiliser massivement le jour de l’élection. En creux, l’idée d’un “vote caché” reflète surtout l’incertitude qui règne dans cette campagne. Plutôt qu’un cache-cache, c’est bien un colin-maillard démocratique qui attend pourtant les candidats le 23 avril.