La cuisine équipée va-t-elle devenir le placement préféré des Français ?

Les financiers ne manquent décidément pas d’air. Ainsi Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne et, à ce titre, véritable pilier du système financier international, n’a pas précisément le profil du plaisantin lorsqu’il constate avec cynisme que si nos concitoyens n’ont plus les moyens d’accéder à la propriété, ils pourraient néanmoins se faire plaisir en acquérant, à crédit – n’oublions pas les banques –, une cuisine équipée ou une salle de bains intégrée. Au prétexte que les épargnants peinent à débusquer les derniers placements à peu près rentables pour abriter et faire fructifier leurs économies, Mario Draghi leur propose, ni plus ni moins, de dépenser leur argent dans la décoration d’intérieur, par exemple, et surtout de renoncer à thésauriser.

Pauvres et consommateurs
Les conditions d’accès à la propriété immobilière n’ont jamais été aussi favorables en France – crédits à moins de 2 % et baisse quasi-générale des prix de l’immobilier – et pourtant le marché demeure atone, d’un calme inquiétant, qu’aucune mesure de relance ne semble capable de dissiper. A cela plusieurs causes, bien entendu, mais comment ne pas songer spontanément au drame de l’inexorable aggravation du chômage, à la généralisation de la précarité pour les nouvelles embauches et à la pression continue sur les salaires dont le dégel semble rétif au réchauffement climatique, rognés année après année par une inflation modérée, certes, mais qui, au fil des ans, n’en entame pas moins le pouvoir d’achat ? Evoquant même le fameux « carpe diem », Mario Draghi s’inscrit parfaitement dans la lignée des économistes et politiciens dont l’ultime espoir de relancer l’économie repose sur l’incitation à la désépargne généralisée. La salle de bains et la cuisine intégrée demeurent des plaisirs à crédit coûteux mais infiniment moins qu’un appartement ou une maison que n’ont plus les moyens de s’offrir une part grandissante de nos concitoyens, même actifs et à deux salaires.

Les chiffres donnent d’ailleurs raison à notre financier en chef puisque, face à l’effondrement des ventes de l’immobilier neuf, les spécialistes du secteur ont vendu 722 000 cuisines en 2013, un nombre deux à trois fois supérieur à celui des logements construits la même année.

Encouragés par une inflation faible et des taux d’intérêt au plus bas, les milieux financiers et industriels lorgnent de plus en plus impudiquement sur le bas de laine des Français et rêvent de tordre le cou une fois pour toute à leur écureuil et autres livrets A. Tous pauvres et endettés mais adeptes d’un consumérisme débridé, tel est, semble-t-il, le sort rêvé pour nous par les magnats de la finance et de la banque.

Lu dans Présent

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