Jacques Villemain n’est pas historien, mais son dernier livre rouvre une page d’histoire fortement polémique en France. Une histoire que l’on n’a pas fini d’écrire. Lorsqu’en 1794 la Vendée insurgée est livrée aux flammes des Colonnes infernales, des flots d’encre font écho aux torrents de sang. La Convention légifère sur le sort des « Brigands », Carrier se vante de ses noyades nantaises, Turreau cherche à couvrir ses méfaits par le Comité de salut public (ce qu’il obtient), et Gracchus Babeuf n’hésite pas à parler de « populicide » perpétré en Vendée. Pourtant, ces actes auraient pu tomber dans l’oubli, voilés par la vulgate d’un Michelet ou des historiens robespierristes.
On connaît la genèse de la polémique. En 1985, Reynald Sécher soutient une thèse de doctorat dans laquelle les méfaits républicains sont qualifiés de « génocide ». Depuis lors, la querelle n’a pas cessé entre ceux qui acceptent ou récusent cette qualification. La hache de guerre est déterrée en des occasions diverses (émission de télévision, proposition de loi…).
Ce qu’apporte Jacques Villemain ? Ancien représentant de la France à l’OCDE, rompu aux méthodes du droit pénal international, il s’est intéressé de près à la question de la qualification des actes commis en Vendée. Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide… L’observateur a tendance à s’y perdre. Ces qualifications correspondent-elles aux actes perpétrés à l’époque ? C’est tout l’enjeu de Vendée 1793-1794.
D’authentiques crimes contre l’humanité
Le crime de guerre ? C’est une violation des lois de la guerre, inspirées de l’honneur chevaleresque. Cela revient à frapper en temps de guerre, sans les distinguer, civils et combattants, ou à utiliser des méthodes déloyales. Or, en Vendée militaire, les troupes de la Convention commettent, sans doute possible, d’authentiques crimes de guerre. Des exemples ? Les massacres de prisonniers, l’extermination de blessés dans les hôpitaux (dans la forêt de Vezins, par exemple), ou encore les crimes de « perfidie » (simuler la clémence pour finalement massacrer l’ennemi).
Le crime contre l’humanité ? Selon les tribunaux pénaux internationaux, il s’agit d’une attaque, généralisée ou systématique, contre la population civile (viols, disparitions forcées, meurtres, déportations…). Là encore, les actes commis par les Bleus en Vendée correspondent aux qualifications du droit pénal international actuel. Des preuves ? Les représentants en mission estiment que « tout ce qui respire dans la Vendée est brigand ». En octobre 1793, un rapport de Barère appelle à exterminer les brigands « sur leurs propres foyers », à mater « l’inexplicable Vendée » dont « les femmes sont en vedette ». Les faits confirmeront ces velléités : au Mans, à Savenay ou aux Lucs, les civils ne seront guère épargnés. Le général Westermann, en décembre 1793, se vante ainsi d’avoir « écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui au moins, pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands ».
Des actes conformes à la définition juridique du génocide
Mais la question fondamentale est celle du génocide. Les adversaires de cette thèse soutiennent qu’en l’absence de « peuple vendéen » distinct du reste de la nation française, on ne peut conclure au génocide. Pourtant, s’appuyant sur la jurisprudence internationale (relative au Rwanda notamment), Jacques Villemain rappelle qu’un génocide suppose non pas l’existence d’un « peuple », mais d’un « groupe humain stable et permanent », ce qui correspond en tout point aux communautés rurales catholiques des Mauges et du Bocage. Y a-t-il eu intention génocidaire en Vendée ? Oui, répond Villemain, se fondant sur les instructions officielles ainsi que sur l’idéologie régénératrice de l’époque.
Oui, si les faits qui se sont produits en Vendée en 1793-94 avaient lieu aujourd’hui, ils seraient bien qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, au surplus, de génocide. Certes, la controverse n’est pas close et cet ouvrage aura ses détracteurs : l’analyse rétroactive du passé à l’aune de critères actuels est discutable. Gageons tout de même que le grand public saura y voir combien la Vendée offre une illustration criante du projet de la Terreur : derrière l’extermination, l’élaboration d’un homme nouveau, révolutionnaire. Si la Vendée pardonne, elle n’oublie pas.
Jacques Villemain, Vendée 1793-1794, Cerf, 304 p.
Tugdual Fréhel – Présent