Lu ailleurs / John Huston, un cinéma de la Fin des Temps

Les 4 Vérités

Nicolas Bonnal

Huston est un cinéaste classique qui a su durer jusqu’à la fin de sa vie, aux alentours des années 90. Il ne fait pas partie de la grande trinité hollywoodienne (Walsh, Hawks et Ford), s’il a également illustré tous les genres : westerns, adaptations littéraires, films noirs, comédies, films d’aventure. Un peu bohême, souvent à court d’argent, il a aussi réalisé ou plutôt signé de véritables navets dont on ne saurait lui tenir trop rigueur : il est le cinéaste de la Fin des Temps.

On parle d’âge classique hollywoodien, comme on parle de la Renaissance italienne, du classicisme français ou du piano romantique : ce sont des époques bénies où les génies s’expriment dans un cadre reconnaissable. Avant, après, il se passe moins de choses. Pendant quelques années, on a ainsi les génies susnommés, Minnelli, Henry King, Hathaway, et miraculeusement tout marche : les scénarios, la musique, les castings, le montage, la photographie, le cinémascope ; c’est ainsi.

Huston entre dans l’industrie du cinéma avec un film noir qui est déjà une parodie de film noir : le Faucon maltais, mixte de polar, d’ésotérisme, de comédie et de mise en scène de l’inévitable Bogart. Comme il est scénariste, il écrit High sierra, le script d’un des chefs-d’œuvre de Walsh, qui est toute une méditation tragique sur la fin des bandits (donc de l’Histoire) et la fatalité. Quand la ville dort (Asphalt Jungle) promeut aussi cette image crépusculaire, mortifère de la civilisation, avec le grand Sterling Hayden dans le rôle du gangster philosophe et pessimiste. Huston est alors dans le système de l’âge d’or hollywoodien, comme nous le sommes en lisant du Racine ou en contemplant un Botticelli.

Et il y a le tournant des années 60. La perfection esthétique se perd, mais on gagne en acuité du regard, en dureté même : ce sont les Misfits, les désaxés qui consacrent la chute du classicisme et la disparition des figures de légende comme Clark Gable, Monty Clift ou Marylin. Mais c’est dans la Nuit de l’iguane que Huston nous offre une image décalée, folle et amusée de la Fin des temps, de l’âge de fer, comme dit Ovide. Un groupe de touristes féminines et d’un certain âge entourent un ex-pasteur dans un coin perdu du Mexique. Une jeunette – Sue Lyon, l’actrice de Lolita – tente de séduire son homme mûr, avant de se rabattre sur deux Beach boys, les inoubliables Pepe et Pedro, qui annoncent tous les gitons de la génération Ko Lanta. L’homme perdu retrouve peut-être sa voie à la fin en demeurant hôtelier chez une Ava Gardner vieillissante.

On est à l’orée des années 60, de la révolution sexuelle, de la prise du pouvoir par les femmes, à l’orée de la civilisation des loisirs massifiés, de la mort du voyage, de l’effondrement de la fréquentation des églises. Il y a même un coup de pied moqueur contre la poésie (comme je continue d’en écrire, des poèmes, je me sens tout particulièrement concerné).

On est aussi à l’orée de la civilisation du politiquement correct, et le pauvre Richard Burton est littéralement persécuté par la cheftaine du groupe de visiteuses atrabilaires. Comme acteur, notre grand metteur en scène incarne quelques années plus tard le grand méchant tycoon de Chinatown, celui qui croit au futur et prive d’eau Los Angeles comme on prive de liquidités aujourd’hui un milliard d’occidentaux pour préserver les intérêts d’une poignée de banksters. La même dénonciation du capitalisme exterminateur, pétrolifère et futuriste est à l’œuvre dans Juge et hors-la-loi, tragi-comédie hilarante sur la fin de l’ouest américain, où Paul Newman et le scénariste John Milius se surpassent.

Huston n’en reste pas là : il tourne un film sur la peste et la mort au moyen âge, avec le propre fils de Moshe Dayan, qui sonne comme un thrène sur la civilisation troubadour et pacifiste échouée ; il poursuit un idéal sublime dans l’Homme qui voulut être roi, qui narre l’échec de l’aventure grandiose de l’ère Kipling ou Verne. Il ne renonce pas à méditer sur la mort dans The Dead, sublime adaptation d’une des nouvelles de Dubliners de Joyce ; chaque fois, finalement, en se moquant du public de Spielberg ou de Lucas ; en l’ignorant plutôt.

Ecrivain aussi, mais aussi boxeur, cuisinier, joueur de cartes professionnel, ce véritable homme de la Renaissance a très bien porté à l’écran des classiques comme Au-dessus du volcan de l’oublié Malcolm Lowry. Mais son film testamentaire reste Mr North, fini par son fils, avec sa fille Angelica Huston et le grand Mitchum : un jeune professeur de l’âge d’or de la nouvelle Angleterre se découvre des pouvoirs et rêve de fonder, avec l’appui d’un philanthrope, une belle utopie.

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