https://www.youtube.com/watch?v=_BiYdMe9Toc
Sombre 31 janvier pour Tariq Ramadam, l’un des prédicateurs musulmans les plus connus de France, qui se retrouve en garde à vue et sous le coup de deux accusations de viol. Il y a, pour lui comme pour les autres, présomption d’innocence, certes. Mais il n’empêche que le mal est fait et que les dégâts sont d’ores et déjà irrémédiables.
Dans un semblable registre, le télévangéliste américain Jimmy Swaggart a connu pareille mésaventure en 1988 et 1991, pris sur le fait en compagnie d’une prostituée, ce qui fait toujours un peu désordre pour un leader de la « moral majority »… Pareillement, Tariq Ramadam n’avait pas de mots assez durs pour flétrir l’avachissement des mœurs. Les Tartuffe ne connaissent ni religions ni frontières.
Qu’il ait violé ou non les dames en question importe, finalement, peu : il les a fait monter dans sa chambre d’hôtel alors qu’il est un homme marié, ce qui suffit à le disqualifier à jamais aux yeux de ses ouailles, opinion prédominante sur les forums de discussion des sites musulmans de référence, oumma et saphirnews.
Tariq Ramadam carbonisé, donc. Plus sûrement qu’un Harvey Weinstein qui, lui au moins, ne s’est jamais fait passer pour parangon de vertu. Après, toujours la même question : son entourage était-il au courant ? Un membre de l’UOIF nous confie, sous couvert d’anonymat : « Oui, certaines personnes savaient… »Savaient quoi, exactement ? « Des bruits persistants couraient sur son goût pour les jeunes étudiantes. Mais son aura était telle qu’il se considérait comme intouchable et que personne n’osait rompre la loi du silence. » Classique.
« Intouchable », mais également pas loin d’être irremplaçable ; sur les plateaux de télévision, tout au moins. En effet, qui d’autre que lui pour représenter des millions de Français musulmans ? Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, est d’une envergure intellectuelle autrement supérieure, mais rechigne à être médiatisé plus que ça. Hassen Chalghoumi aimerait bien creuser son trou, mais sa trop grande proximité d’avec le CRIF et ses nombreux voyages en Israël font de sa personne un objet de moquerie, quand ce n’est pas de franche détestation de la part de ses brebis. Faute de concurrents, Tariq Ramadam était donc l’interlocuteur incontournable. Jusqu’à aujourd’hui.
De plus, s’il avait un peu triché sur ses diplômes – guère plus et plutôt moins, soyons justes, que le rabbin Gilles Bernheim –, son discours était relativement fédérateur, assurant que « l’on peut être tout à la fois pleinement musulman et occidental et que, au-delà de nos différences apparentes, nous partageons beaucoup de valeurs à partir desquelles le “vivre ensemble” est possible dans nos sociétés pluralistes, multiculturelles, où coexistent plusieurs religions ». Assez logiquement, une majorité de fidèles approuvait et la presque totalité de la classe politique s’en contentait.
Certains lui reprochaient une fibre républicaine de surface. Pourtant, tel que le note l’essayiste Paul-François Paoli dans Le Figaro de ce mercredi dernier : « Ce ne sont pas les musulmans qu’il faut accabler et qui sont sûrement las d’être l’enjeu d’une permanente controverse. Pourquoi leur faire grief de ne pas s’acculturer à un pays qui ne sait plus se décliner autrement que sur le mode des “valeurs républicaines”, notion floue dont n’usaient ni de Gaulle, ni Pompidou, ni Giscard ? »
Cette faille structurelle, Tariq Ramadan l’avait bien perçue, lorsque répondant à un Philippe de Villiers lui reprochant de faire passer le Coran avant les lois de la République : « Et vous, Monsieur Villiers, quelle est la parole la plus importante à vos yeux, celle de Jésus-Christ ou celle de Jacques Chirac ? »
En attendant, Tariq Ramadam suit les traces de son père, lui aussi imam ayant jadis exercé ses talents en Suisse, et obligé de prendre une retraite anticipée pour cause de liens trop étroits avec la CIA et de vie extraconjugale un brin mouvementée. Comme quoi il est la fois possible de tromper sa femme tout en respectant certaines valeurs familiales.
Menaces, insultes, diffamation. Tous les musulmans qui ne font pas allégeance au petit-fils d’Hassan Al-Banna, Tariq Ramadan, déclenchent son courroux. Une chronique de Ian Hamel
Mais une journaliste du magazine suisse L’Hebdo révèle le pot aux roses, titrant « Les musulmans de Suisse étaient… français ». Elle raconte qu’à l’intérieur du congrès, les non musulmans et les journalistes auraient été traités d’« insectes ». Tariq Ramadan ne s’en relève pas. Il décide d’abandonner la Suisse pour la France.
Faux professeur à Fribourg
Aujourd’hui encore, le petit-fils d’Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, peine à se faire entendre sur les bords du lac Léman. Le Centre islamique de Genève, créé en janvier 1961 par Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan Al-Banna, aujourd’hui dirigé par son fils Hani Ramadan, le frère de Tariq, est considéré par beaucoup de musulmans comme une secte obscurantiste. C’est sans doute la seule mosquée en Europe appartenant exclusivement à une seule famille, les Ramadan. Quant à Tariq Ramadan, il n’a pas laissé que de bons souvenirs en Suisse. Enseignant, il séchait très souvent sa classe, critiquait ses collègues. Dans son livre Les Musulmans dans la laïcité, publié en 1994, il écrit en page 175 que les cours de biologie, d’histoire et de philosophie « peuvent contenir des enseignements qui ne sont pas en accord avec les principes de l’islam ».
Et surtout, il adresse des chroniques dans les journaux, notamment dans “Le Monde”, pour réclamer « un moratoire sur l’application de la charia ». Il se présente comme « professeur de philosophie et d’islamologie à l’université de Fribourg ». Or, il n’est ni professeur, ni même assistant. Tariq Ramadan se contente de donner bénévolement chaque semaine un exposé d’une heure sur l’islam aux étudiants fribourgeois. Néanmoins, c’est cette carte de visite biaisée qui lui permet de se faire passer à l’étranger pour un universitaire. « Malgré un bagage intellectuel assez léger, Ramadan se prévaut aujourd’hui d’enseigner à Oxford. Il oublie simplement de préciser que sa chaire universitaire est financée intégralement par le Qatar », souligne Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE. Pour mémoire, en sortant son chéquier, l’un des fils de Kadhafi avait obtenu un doctorat d’une université britannique, ne se donnant même pas la peine de le rédiger lui-même.
Des guetteurs sur la Toile
Charles Genequand, spécialiste du monde arabe à l’université de Genève, n’a jamais été convaincu par le sérieux de Tariq Ramadan. Il lui a refusé sa thèse portant sur le réformisme islamique et Hassan Al-Banna. Les raisons ? Tariq Ramadan tentait de faire passer son grand-père pour un Gandhi musulman. « Non seulement, il refusait d’apporter des corrections à sa thèse, mais il harcelait les membres du jury pour l’obtenir au plus vite », se souvient Charles Genequand.
Témoignage confirmé par Ali Merad, professeur émérite à l’Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III et auteur de trois “Que sais-je ?” sur l’islam. Tariq Ramadan est allé jusqu’à le menacer d’une plainte universitaire s’il n’obtenait pas son doctorat. « J’ai été directeur de thèse pendant près de quarante ans en France, en Belgique, en Suisse. Je n’ai jamais vu un étudiant se conduire de la sorte », a témoigné Ali Merad (1). À cette époque, Tariq Ramadan décrochait lui-même son téléphone pour insulter et menacer tous ceux qui n’appréciaient pas à sa juste mesure son talent.
Aujourd’hui, il peut compter sur des dizaines de guetteurs sur la Toile. « Il suffit que j’écrive trois lignes sur Internet un peu critique vis-à-vis de Tariq Ramadan pour que je reçoive immédiatement une cinquantaine de messages plus que désagréables de la part de ses sbires », dénonce Ahmed Benani, politologue et anthropologue à l’université de Lausanne, décédé voici un an. « Tariq Ramadan n’est qu’une icône télévisuelle. Où sont ses travaux universitaires ? Aucun chercheur, qu’il s’agisse d’Olivier Roy, de Gilles Kepel, de Rachid Benzine, de feu Mohammed Arkoun ou d’Abdelwahab Meddeb ne l’a jamais pris au sérieux », lâche Ahmed Benani, qui a connu à Genève Saïd Ramadan, le père d’Hani et de Tariq Ramadan, disparu en 1995.
Les musulmans privés de parole
Même son de cloche de la part de Mohamed-Chérif Ferjani, islamologue et professeur à l’université Lyon-2. « Les insultes ? Je ne prends même plus le temps de les lire. En revanche, Tariq Ramadan n’ose pas m’affronter directement. J’ai dénoncé ses multiples mensonges dans mon livre Le politique et le religieux dans le champ islamique (2) ». Pour enjoliver l’image d’Hassan Al-Banna, Tariq Ramadan gomme systématiquement le caractère militaire et violent des Frères musulmans, en traduisant par exemple « jundî », non pas par « soldat », mais par « militant », et « katîba » par « cercle » au lieu de « brigade » ou « phalange ». Plus grave, il oublie de rappeler qu’Hassan Al-Banna prônait le califat « comme la seule forme possible de l’Etat islamique ». « Une bonne partie des attaques sur Internet sont pilotées par des professeurs d’université français. Ils demandent à leurs étudiants-chercheurs d’insulter tous ceux qui émettent des doutes sur les compétences de Tariq Ramadan », assure Mohamed-Chérif Ferjani.
« Bien évidemment, Tariq Ramadan a beau jeu de prétendre qu’il n’y ait pour rien. Mais je constate qu’il n’a jamais pris ses distances avec les insultes et les menaces proférées par ses acolytes. Ces derniers s’en prennent tout spécialement aux intellectuels d’origine musulmane. Le but est de créer un climat détestable et de tout faire pour empêcher les musulmans, qui ne partagent pas les idées de Ramadan, de s’exprimer », commente Haoues Seniguer, maître de conférence en science politique à Sciences Po Lyon. « C’est d’autant plus désagréable que les écrits de ce personnage méprisant manquent terriblement d’épaisseur scientifique. Un élément significatif : les lacunes révélatrices en matière de culture islamologique où les références à des penseurs tels que Rachid Benzine, Nasr Hâmid Abû Zayd, ou Mohamed Arkoun sont systématiquement absentes, voire écartées, car elles ne cadrent pas avec son système idéologique global ».
La bouche tordue par la haine
Même son de cloche de la part de Dominique Avon, agrégé d’histoire, licencié d’arabe, professeur à l’université du Maine, spécialiste des religions : « Dans Muhammad, vie du prophète, Tariq Ramadan s’en tient à un discours de traditionniste en présentant Adam comme le premier prophète ! Adam est une figure mythique, aucun autre universitaire un peu sérieux n’oserait écrire ce genre de chose », souligne-t-il, ajoutant que « celui qui se présente comme islamologue n’utilise jamais la moindre source académique pour parler des premiers siècles de la religion musulmane ». Ses seules références sont le Coran, les Hadiths (les actes et les paroles du prophète) non soumis à la critique historique, et quelques commentateurs médiévaux soigneusement sélectionnés.
Face à des contradicteurs, Tariq Ramadan abandonne très vite son sourire de miel, pour éructer, la bouche tordue par la haine. Le docteur Bakary Sambe, enseignant-chercheur au centre d’étude des religions, UFR des civilisations, arts et communication, à l’université Gaston Berge, à Saint-Louis du Sénégal, en a fait la triste expérience. « Alors qu’en France, il se vante d’être pleinement européen. En Afrique, il désigne l’Occident comme l’origine de tous les maux des musulmans. Sur l’intervention française au Mali, il adopte exactement la même position que les Frères musulmans, le Tunisien Rachid Ghannouchi et l’Egyptien Mohamed Morsi », rappelle Bakary Sambe. Mais pour s’être opposé à Tariq Ramadan, l’universitaire sénégalais a été présenté comme « anti-arabe » et même « pro-israélien », dans des écrits adressés à des étudiants musulmans, jusqu’aux Etats-Unis. « J’ai été obligé d’écrire un article en anglais pour contrer tous les mensonges que Tariq Ramadan proférait à mon égard », dénonce le chercheur africain.
Ian Hamel, « La vérité sur Tariq Ramadan. Sa famille, ses réseaux, sa stratégie », Editions Favre, 2007.
Mohamed-Chérif Ferjani, « Le politique et le religieux dans le champ islamique », Fayard, 2005.