Où sont passés les pianos mécaniques? (Vidéo)

Au début du 19e siècle, le piano est déjà un instrument populaire et convoité qui s’impose dans les salons bourgeois. Le gramophone n’a pas été encore inventé, et la seule façon d’écouter l’instrument est de poser ses doigts dessus. Pour compenser cet engouement et permettre à un public plus large de savourer le son du piano sans pour autant faire appel à des pianistes, quelques facteurs vont s’ingénier à trouver des solutions de remplacement… De là naîtront les premiers pianos mécaniques, mais aussi le début d’un tout nouveau commerce…

UN BESOIN D’INVENTER DE NOUVEAUX PIANOS

A l’époque du romantisme, le piano-forte a vécu et le piano entre dans l’ère de l’industrialisation. L’instrument s’est imposé partout et sa littérature est déjà fort abondante. Les mains se sont habitués au clavier à échappement et le public au « grand queue » de concert. Le piano est devenu un instrument indépendant, capable de se suffire à lui-même. Les grands, comme Steinway, Erard, Blüthner ou Bernstein l’ayant bien compris sont à la manœuvre et voient leur chiffre d’affaire se multiplier par dix ou vingt au cours du 19e siècle. Les Etats-Unis et l’Allemagne dominent alors le marché.

Ce premier boom de fabrication s’accompagne d’une multitude de recherches, parfois sans lendemain, mais qui témoigne sans nul doute du regard porté sur l’instrument et sur ses récentes avancées technologiques : pédale « sustenuto », augmentation de la tessiture, renforcement du barrage, remplacement du cadre bois par un cadre métal, dynamique plus importante, etc.

Jusqu’au milieu du 19e siècle, l’intérêt pour un piano dit « mécanique » reste encore anecdotique. En attendant, l’inspiration des facteurs se nourrit parfois de désirs qui consistent à détourner l’instrument de son utilisation musicale. Ainsi, tout comme le clavecin, le piano se devait d’être agréable à la vue en s’ornant de quelques dorures et sculptures parfois atypiques (cariatides). Le second souhait était de rendre l’instrument utile pour la vie domestique. Des modèles sans lendemain, et assez fous, voient alors le jour. Citons particulièrement le piano à vibrations prolongées (1852) qui permet la résonance sans avoir les mains sur le clavier ; le piano-flûte (1858) équipé d’un système en caoutchouc ; le piano-billard (1859) ; le piano convertible en lit ou en commode pour ranger les vêtements (1866). Les sommets étant ceux du piano droit équipé de la TSF (ancêtre de la radio) et du clavier incurvé au début du 20e siècle.

L’IDÉE DU ROULEAU MÉCANIQUE

Au départ, transformer un piano acoustique en piano mécanique n’a pas été simple, mais l’idée suivait son chemin. Dès le 14e siècle, bien avant la naissance de l’instrument à clavier, quelques objets s’étaient vus dotés de mécanismes leur permettant d’enclencher des automatismes notamment dans le domaine de l’horlogerie.

La première étape du piano mécanique, et digne d’intérêt, sera celle du rouleau. Si celui-ci n’est pas encore intégré dans le piano, le principe est déjà là et s’illustre à travers de magnifiques boîtes à musique : de minuscules clous (picots) sont disposés à des endroits stratégiques sur la surface d’un cylindre mis en rotation d’après un procédé propre à l’horlogerie (ressorts). Les clous déclenchent des leviers (tiges) qui, à leur tour, engendre des sons. Une fois que le cylindre a effectué un tour complet, la même musique recommence jusqu’à ce que le remontoir mécanique, alors devenu trop détendu, ne soit plus en mesure de remplir son rôle. Dès lors la musique ralentit et s’arrête.

C’est toujours à l’époque de Liszt et de Chopin que quelques facteurs de piano commencent à réfléchir sur la façon d’intégrer au piano un mécanisme à rouleau directement inspiré des boîtes à musique. Le principe fondamental repose sur l’utilisation de systèmes mécaniques actionnés par un système pneumatique (au début du 20e siècle, il deviendra électrique). Le piano mécanique doit s’accorder comme n’importe quel autre piano, seul son clavier est accessoire. Sa présence n’est là que pour ravir les plus curieux, quand les touches, comme par magie, s’enfoncent toutes seules. Le piano mécanique fonctionne à la façon des orgues limonaires, c’est d’ailleurs pour cette raison, que contrairement à ce que l’idée de départ véhiculait, au lieu de prendre place dans les maisons, les premiers modèles s’imposeront comme instrument de musique dans la rue, avant de prendre place dans les bars.

VIVE LE PIANO À ROULEAU PERFORÉ !

Les premiers modèles de cylindre à clous étaient dotés d’un système lourd, limité musicalement et peu pratique. Ceux-ci, ne rencontrant que peu de succès, s’effaceront avec l’arrivée du mécanisme à rouleau perforé. Cette invention s’impose rapidement et parvient à satisfaire tous les types de clientèle. Grâce à une manipulation relativement simple, le changement de rouleau permet au piano mécanique de devenir une sorte de juke-box avant l’heure. Son principal atout, en comparaison du cylindre à clous, est d’augmenter la durée de la reproduction, ce qui permet d’offrir à leurs utilisateurs un catalogue d’œuvres beaucoup plus imposant.

Giovanni Racca sera le premier à commercialiser avec succès un piano mécanique fondé sur ce principe : le piano melodico en 1880. Jusqu’aux cœur des années 1920, ce modèle rencontrera un vif succès commercial (il s’en vendra près de 10 000 pièces). Le piano melodico séduira l’aristocratie tant l’instrument était novateur. Sa technique, extrèmement raffinée, s’accompagnait d’un mécanisme aussi précis qu’une horloge, le tout enrobé de bois précieux.

Le répertoire qu’il proposait semblait sans limite. Les airs à la mode cohabitaient avec les musiques de danses populaires, les operettes voire les symphonies retranscrites. Malheureusement, de tout cela, il n’en reste que peu de traces, car la plupart des cartons ont été détruit par l’usure du temps.

Presque à la même époque, un constructeur français, Henri Fourneaux, sera l’inventeur du Pianista (1863) qui propose un système amovible actionnant les touches du piano (NB  : le Pianista ne doit pas être confondu avec le piano mécanique qui comporte un mécanisme automatique intégré).

A noter également, le Pianola, créé par l’Américian Edwin Scott Votey en 1895 à Détroit, l’orchestrion, piano hybride reposant sur un assemblage de cordes et de boîtes à musique (milieu du 19e siècle), le Pleyela, conçu par Gustave Lyon pour la société Pleyel, ou encore le Mélodia qui est un système reproducteur électromécanique venant s’adapter à la pupart des pianos. Même le constructeur Gaveau se lança dans l’aventure en construisant plusieurs modèles éphémères : le Phonola, l’Uniolitz et le Dea

UN PIANO MÉCANIQUE, MAIS ENCORE !

Bien que certains modèles proposent de modifier le tempo et le volume sonore, les pianos à rouleau exprimaient mal les nuances. Ce n’est qu’au début du 20e siècle que « l’interprétation pianistique » va devenir crédible. Edwin Welte sera le responsable de cette avancée technologique en inventant un système permettant de coder toutes les nuances faites par un pianiste, comme la dynamique ou les effets de pédale. C’est ainsi que les soufflets à pédale seront remplacés par un moteur électrique.

Dans son histoire, le piano mécanique sera aussi un instrument de création, capable de séduire quelques compositeurs « programmeurs » dont l’Américain Conlon Nancarrow (1912/1997) qui s’efforça de conduire ses travaux dans des domaines aussi divers que la polyrythmie ou la polytemporalité, domaines pour lesquels le rouleau pouvait prétendre à quelques expérimentations avant-gardistes.

L’arrivée du gramophone, puis ensuite du juke-box précipitera le déclin du piano à rouleau. Utilisé fréquemment dans les cinémas pour animer les films muets ou pour créer l’ambiance à bord des bateaux de plaisance, le piano à rouleau est devenu aujourd’hui un instrument de curiosité que l’on expose dans les musées ou que l’on trouve parfois, placé bien en évidence, chez les collectionneurs d’instruments de musique.

 

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