“Achille est noir, avoir un enfant est l’affaire de deux mamans ou de deux papas, les réfugiés syriens sont nés à Kaboul”…

La BBC a tourné une série sur la guerre de Troie et va la diffuser sur Netflix. Pas très original. Du coup, la chaîne publique britannique s’est rattrapée sur le casting : Achille sera joué par un Noir, en l’occurrence l’acteur David Gyasi. Je crois qu’au tournant de cette année, nous en sommes rendus au stade de l’allégorie. Tout y est.

Dans l’œuvre d’Homère, Achille est notamment connu comme le guerrier « aux blonds cheveux ». Là, on peut dire que c’est mort, à moins d’une teinture à la Djibril Cissé. Par ailleurs, on l’appelle aussi « le bouillant Achille » ou « Achille aux pieds rapides », par opposition à Ulysse « aux mille ruses », dont le fascinant destin rassemble les joies et les écueils qui guettent (guettaient ?) tout Européen de sexe masculin : par conséquent, je ne veux pas être lourd, mais si la BBC avait voulu éviter les ennuis, c’est le rôle d’Ulysse qu’elle aurait fait jouer par un Noir, et pas le rôle du gars violent qui court vite…

A contrario, on n’imagine pas Brad Pitt en Malcolm X, Johnny Depp en Miles Davis ou Gérard Depardieu en Martin Luther King (sans parler de Chaka Zulu ou Ménélik, qu’on pourrait imaginer – avec un peu de mauvaise foi – sous les traits de Pierre Niney ou Romain Duris…) : ce serait de la confiscation de patrimoine. On crierait (à raison) au racisme. Mais quand ce sont des rôles de Blancs joués par des Noirs, ce n’est pas pareil. Parce que les Blancs ont été méchants. Ils doivent payer.

On avait imaginé, il y a quelques années, un James Bond noir. Je pense que ce ne serait pas honnête : un officier de marine noir, d’origine écossaise, né d’une mère suisse, c’est déjà costaud, me direz-vous. Mais je pense qu’il faudrait que ce soit une femme. Pas une femme fatale, non. Une femme dégenrée, à la Judith Butler, qui roule en ZOE blanche et exécute ses contrats avec des étuis pleins de germe de blé sans pesticide (redoutable contre les voleurs, cela dit) en sirotant des jus de carotte (« au shaker en bambou, pas à la cuillère en carton recyclé ») dans des bars vegan. Là, on tuerait le mal(e) à la racine.

Généralisons cette affaire. Faisons, nous aussi en France, des biopics de l’excuse, financés par nos impôts et tournés pour la télé publique : Jamel en Macron, Omar Sy en de Gaulle, Mimie Mathy en Joséphine Baker (sauf si deux minorités s’annulent… je ne connais pas encore tous les théorèmes).

Je ne sais pas si, en poussant le bouchon si loin, la BBC va atteindre son but – qui est d’apaiser les tensions, je présume. Mais c’est là qu’on voit qu’on est entré résolument dans un autre monde. Lequel ? À vous de juger.

Ainsi donc, en 2018, retenez bien : Achille est noir, avoir un enfant est l’affaire de deux mamans ou de deux papas, les réfugiés syriens sont nés à Kaboul, le féminisme s’arrête à l’entrée du XVIIIearrondissement, coucher avec une fille de 11 ans n’est pas si grave mais draguer sa voisine fait de vous un porc. Je ne crois pas que Huxley, Orwell, Dick ou Bradbury y croiraient. Ça marche trop bien, trop vite. Pas besoin de brûler les livres comme dans Fahrenheit 451 : plus personne ne les lit (à part les futurs classiques : Papi débranche sa perf ou Maman couche avec la boulangère). Pas besoin d’organiser les deux minutes de la haine, comme dans 1984 : il y a Twitter, qui fait ça très bien. « Le mensonge, c’est la vérité » : pas compliqué à faire avaler, dans un monde comme celui-ci.

En guise de bonne résolution, faisons de cette année celle du retour collectif au réel, pourquoi pas ?

Bonne année à tous.

 

Arnaud Florac – Boulevard Voltaire

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