“La France n’est plus celle d’il y a un siècle, d’il y a 50 ans”!

Alors que l’Europe est en train de connaître l’un des plus grands flux migratoires de son Histoire, notamment en raison de la guerre en Irak et en Syrie, l’exposition « Frontières », au musée de l’Histoire de l’immigration jusqu’au 29 mai 2016, offre une véritable leçon de géopolitique. Interview de Benjamin Stora, président du conseil d’orientation du musée.

Benjamin Stora : Cette exposition a été décidée par le conseil d’orientation il y a un an et demi. On se doutait bien à cette époque-là qu’il y avait une actualité très forte sur ces questions, puisque, ne l’oublions pas, le drame de Lampedusa avait déjà commencé. Déjà des milliers de migrants tentaient de franchir la frontière au péril de leur vie. Il y avait, par conséquent, cette idée de passage de la frontière dangereux. Cependant, l’exposition n’est pas simplement restée dans l’actualité immédiate avec le drame de la Méditerranée, mais elle lui donne une ampleur internationale en pointant, notamment, la fabrication des murs.

(..) L’exposition vise à montrer que, à l’ère de la mondialisation, les frontières sont de plus en plus importantes. Alors qu’il y a une plus grande circulation des idées, des images, par Internet par exemple, on assiste en même temps à cette espèce de rétrécissement, de fermeture et de repli sur soi. C’est ce paradoxe qu’on a cherché à illustrer dans cette grande exposition à l’échelle internationale et pas simplement européenne.

Vous parlez de paradoxes. L’érection de ces hauts murs, de ces fils barbelés ne symbolisent-elle pas aussi la peur de l’autre ?
Benjamin Stora : Il y a effectivement une montée générale de la xénophobie, de la peur des autres dans une situation, encore une fois, où jamais la circulation n’a été aussi intense. On est dans des situations où, dans la jeunesse en particulier, il y a la volonté de voyager et de connaître les autres, de s’ouvrir aux cultures du monde et de connaître la langue et l’Histoire des autres.

(…)

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Récemment, certains hommes et femmes politiques ont déclaré que la France était un pays de « race blanche » ou qu’il fallait accueillir des réfugiés syriens exclusivement chrétiens pour des raisons sécuritaires. Que ces discours politiques reflètent-ils de l’état de la société française aujourd’hui ?
Benjamin Stora : Ils témoignent malheureusement d’un nationalisme politique de rétractation, qui ne vise à ne voir qu’une seule religion, une seule langue, une seule Histoire, une seule culture. Un nationalisme archaïque ne tient absolument pas compte des modifications qui ont eu lieu depuis pratiquement un siècle.

C’est ce que veut d’ailleurs montrer le musée de l’Histoire de l’immigration : la France n’est plus celle d’il y a un siècle, d’il y a 50 ans, même s’il y a bien sûr des continuités sur le plan linguistique et politique. La France est un pays qui change comme tous les pays : qui ne sont pas des pays homogènes, où les frontières ne bougent jamais et où les revendications identitaires sont toujours les mêmes. Non !

(…)

Il y a deux types de discours. Soit l’on dit que la France était de telle manière il y a 50 ans et qu’elle ne bougera plus : soit vous l’acceptez, soit vous partez. Soit, au contraire, l’on dit qu’il y a des populations nouvelles qui sont sur le sol français et l’on fait en sorte que celles-ci puissent se sentir à l’aise, vivre dans ce pays et l’enrichissent. Soit vous avez un discours de fermeture et de conflit, soit vous avez un discours d’ouverture et de main tendue. C’est entre ces deux discours, ces deux types de comportements que l’on doit observer l’évolution de la société française.

Malheureusement, il est vrai que le premier comportement de fermeture et de repli est aujourd’hui très fort. Il faut le dire franchement, on ne peut pas se réfugier dans des discours naïfs. Il y a des discours, pas seulement en France mais dans toute l’Europe et ailleurs, qui sont des discours de fermeture sur soi et de refus des autres. Mais il ne faut pas céder.

(…)

L’exposition « Frontières » insiste bien sur le fait que la France a toujours été un pays d’immigration et un pays de transit. Elle se termine en s’interrogeant sur l’idée d’un monde sans frontières. Mais n’est-ce pas là une utopie ?

(…) Je pense que si l’on veut faire avancer l’Histoire et l’humanité, il faut rester, au contraire, sur des utopies d’ouverture, c’est-à-dire de liberté et de fraternité. Et si l’on cède sur ces utopies-là, ce sont d’autres utopies, beaucoup plus meurtrières, qui, elles, l’emporteront.

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Éminemment pédagogique avec ses cartes géographiques et ses frises chronologiques et agrémenté d’œuvres d’art d’une quarantaine d’artistes et d’œuvres littéraires, le parcours de l’exposition « Frontières » est composé de quatre étapes : « Les murs-frontières dans le monde », « Vers une Europe des frontières », « Traverser les frontières de la France », « Un monde sans frontières ? ».

Photographies contemporaines, témoignages vidéos, récits de migrants et objets de mémoire placent le visiteur au plus près de la réalité de ceux qui vivent au côté des murs de séparation, des check-points ou des zones frontalières qu’ils essaient de traverser : zones de non-droit, trafic en tout genre, économie parallèle et enfermement sont les caractéristiques affectant la cinquantaine de murs-frontières existant dans le monde.

Mais les frontières ont toujours fluctué au gré des guerres et des bouleversements politiques et elles ont pu être traversées. L’exposition, sous la direction scientifique de la sociologue et géopolitologue Catherine Wihtol de Wenden et de l’historien Yvan Gastaut, retrace aussi l’histoire des mobilités et des migrations, notamment en France et en Europe, qui s’imaginent forteresses mais n’ont cessé d’être des pays de transit et d’immigration.

►Du 10 novembre 2015 au 29 mai 2016
Musée de l’Histoire de l’immigration ‒ Palais de la Porte Dorée, Paris 12e

Source

Illustration: affiche de la campagne “Frontexit” émanant d’associations qui militent pour une mobilité internationale et le respect des règles de protection internationale des personnes.

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