« Jésus, cet alcoolique notoire »…

Non, Noël n’est pas terminé ! Calendrier julien oblige, c’est mercredi prochain seulement que les orthodoxes, dont une bonne partie des chrétiens d’Orient, célébreront la Nativité, les Arméniens les précédant d’un jour avec le Sourp Dzenount. Et pourtant, en cette année écoulée, Jésus n’a pas, sauf son respect, été à la fête, les polémiques dont il a été la cible valant bien les caricatures de Mahomet même si elles n’ont pas provoqué de ripostes aussi meurtrières – pas de ripostes du tout serait plus juste.

Trop aryen — et alcoolique !

Le 5 décembre, manière très personnelle de marquer l’Avent, un certain Justin Renel Joseph a ainsi attaqué le Metropolitan Museum of Art de New-York devant la cour suprême de Manhattan : se fondant sur le Civil Rights Act de 1964, qui interdit toute discrimination basée sur la race, il exigeait le décrochage de quatre œuvres de la Renaissance italienne représentant un Jésus « aryen » alors que le Christ, originaire du Moyen-Orient, aurait dû avoir comme lui « des cheveux noirs et laineux et la peau couleur de bronze ». D’où, chez le plaignant, « un sentiment de rejet et l’impression de ne pas être accepté dans la société » à la vue de ces tableaux, dont La Résurrection du Pérugin.

Comme le hasard fait bien les choses, le site Popularmechanics.com, repris pieusement par Europe 1, glosait quelques jours plus tard sur les « excitants » travaux de chercheurs britanniques en médecine légale et en anthropologie qui, assistés par des archéologues israéliens, ont « recréé ce qu’ils pensent être l’image véridique » du Fils de Dieu. Soit un noiraud à la mine patibulaire qui, en effet, doit ressembler à s’y méprendre à M. Justin Renel Joseph.

Mais, de même que toutes les Françaises ne sont pas rousses, ce dernier est-il réellement représentatif du Moyen-Orient ? Où il m’a semblé que les « cheveux laineux » dont on veut absolument affubler Jésus étaient plus rares que le teint et même les yeux clairs. Le Christ parlait l’araméen, comme les actuels villageois de Melloulah, en Syrie, où j’ai vu des femmes diaphanes. Et s’il était juif, pourquoi n’aurait-il pas ressemblé à « Tsilla l’enfant blond » de Caïn qu’évoque Hugo dans La Conscience ou — en moins bovin, j’espère — à l’honorable Gad Elmaleh, le comique blondasse dont le regard bleuâtre séduisit une héritière Grimaldi ?

Bref, il me semble qu’on fait à mon cher Pérugin une querelle d’Allemands et à Jésus un mauvais coup. Encore qu’il y ait eu pis.

Dirigé par Anne Sinclair, ex-Mme Levaï, ex-Mme Strauss-Kahn, le site français du Huffington Post exhumait ainsi le 23 mars sous le titre provocateur « Jésus, cet alcoolique notoire », le pamphlet frénétique publié en 1908 par le docteur Binet-Sanglé, professeur à l’Ecole de Psychologie de Paris. Dans cet opus intitulé La folie de Jésus, son hérédité, sa constitution, sa physiologie, cet anticlérical de l’espèce rabique décrétait le Christ « hérédo-alcoolique » (« constitution médiocre, faiblesse musculaire, pauvreté des conceptions, du jugement et du raisonnement, déséquilibration intellectuelle, émotive et sentimentale ») et interprétait à sa façon l’épisode du lavage des pieds des disciples : « Le fétichisme du pied est le plus commun des fétichismes homosexuels. »

Binet-Sanglé fut vite surnommé Binet-Cinglé. Un siècle plus tard, le voici ressuscité par Mme Sinclair, qui a mis en ligne sur son site les élucubrations sacrilèges de l’obsédé.

Jésus « n’existe pas »…

Encore Binet-Cinglé croyait-il en l’existence de celui dont il s’était juré de sauver l’Humanité. A l’opposé, le 12 juillet dernier, le site Slate.fr, dirigé par Jean-Marie Colombani (qui fut l’un des plus exécrables directeurs du Monde) assisté de l’inévitable Jacques Attali, nous exposait doctement les « cinq raisons pour lesquelles Jésus n’aurait jamais existé » en s’appuyant sur « un nombre croissant d’universitaires [qui] s’interrogent maintenant ouvertement sur la réalité historique de Jésus » et « avancent plusieurs arguments pour douter de la réalité de l’existence du personnage ». Selon eux, en effet, « aucune preuve matérielle du premier siècle confirme l’existence de Yeshua ben Yosef » et, d’autre part, « les évangiles, les seuls récits “historiques” de la vie de Jésus, se contredisent à de très nombreuses reprises ». Mais, outre le témoignage du Suaire de Turin, est-il besoin de preuves matérielles pour croire ? La religion la plus dogmatique de notre époque et aujourd’hui la plus enseignée – avec clergé, rituels et pèlerinages obligatoires des enfants des écoles – ne s’est jamais souciée de ces points de détail. Ni des contradictions de ses évangélistes, dont un nobélisé.

… Mais il « persécute » : rêve salafiste et violence chrétienne

Le plus bouffon est que, bien que convaincu le 12 juillet que Jésus n’a pas existé, le même Slate.fr nous assenait le 9 septembre, par la plume du vénérable Henri Tincq, ancien complice de Colombani au Monde dont il fut de 1985 à 2008 le vaticaniste attitré, que « Jésus n’est pas le pacifiste que vous croyez » mais un « persécuteur ».

Certes, jésuite en diable, Tincq commence par un padamalgam : « Il y a sans doute peu en commun entre le militant juif ultraorthodoxe qui puise dans le messianisme biblique sa revendication en faveur du “Grand Israël”, le musulman salafiste qui rêve d’un retour aux premiers temps idéalisés de l’islam et le protestant évangélique radical ou le traditionaliste catholique qui rêve d’une “reconquête” chrétienne du monde. » Mais, s’empresse-t-il d’infirmer, « le christianisme connaît des chocs en retour, des réaffirmations “communautaires”, des discours et parfois des actes violents contre une modernité moralement permissive et étrangère à Dieu… Des militants chrétiens radicaux […] mènent des entreprises de “reconquête” de pouvoir et d’influence, dans le monde politique, dans les écoles, les universités, les corps d’Etat ou les affaires… Une certaine “intransigeance” chrétienne renaît donc, qui n’est pas exempte de violence […]. » Comment Tincq ose-t-il dénoncer la violence des chrétiens alors que, de la Syrie au Mali en passant par Londres, Madrid ou Paris, le martyrologe des victimes du rêve salafiste est interminable ?

On n’attaque, ne vitupère et ne diabolise que ce que l’on redoute. Jamais, paraît-il, les Français n’avaient acheté autant de sapins, mais aussi de crèches et de santons qu’en cette fin 2015. Simple « effet attentats » ou, face aux périls vert et arc-en-ciel, prise de conscience religieuse et identitaire récemment concrétisée par les foules immenses des Manifs pour tous après un si long assoupissement ? Puisse, en 2016, ce réveil devenir sursaut, à tous les niveaux. Dans cette espérance, très heureuse année à tous.

Camille Galic – Présent

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