C’est une polémique née d’un dossier qui aurait dû être consensuel. Destinée à élargir le soutien public à un plus grand nombre de publications après les attentats contre Charlie Hebdo, la réforme des aides à la presse a fait l’objet, ces derniers jours, de vives critiques. En cause : la volonté du gouvernement de priver de ces nouvelles aides les publications ayant fait l’objet de condamnations pour racisme, antisémitisme, incitation à la haine raciale ou à la violence au cours des cinq dernières années. La mesure concerne des titres d’extrême droite comme Minute et Rivarol, ou encore l’hebdomadaire Valeurs actuelles, positionné à la droite de la droite et par deux fois condamné ces derniers mois, même s’il a fait appel.
Dans son décret du 6 novembre 2015, le gouvernement a étendu le champ de l’aide aux publications nationales d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires : elle concerne désormais tous les périodiques et pas uniquement les quotidiens. Il s’agit d’une démarche en faveur du pluralisme, initiée au lendemain de l’attentat qui a décimé l’hebdomadaire Charlie Hebdo, en janvier (celui-ci ne bénéficiera toutefois pas de l’aide, qui est limitée aux publications dont la diffusion est inférieure à 300 000 exemplaires, un seuil que l’hebdomadaire a dépassé depuis janvier).
Plainte à Bruxelles
Le fait que ce renforcement des aides directes ne touche pas les titres ayant fait l’objet de condamnation a fait rapidement réagir. Mardi 17 novembre, Valeurs actuelles s’en est pris au système d’aide dans sa globalité en indiquant avoir « adressé une plainte formelle contre la France pour aide d’Etat incompatible avec le Traité de l’Union européenne dans le secteur de la presse d’information politique et générale de diffusion nationale ».
Le lendemain, son directeur, Yves de Kerdrel, a également annoncé un recours au Conseil d’Etat. Il croit avoir identifié une fragilité juridique au sein du décret, dans la mesure où dans les faits, ce sont les directeurs de publication qui sont condamnés, non les titres. Or le décret fait référence à ces derniers.
Plus surprenant : jeudi 19 novembre, c’est l’ensemble des quotidiens et magazines qui s’est ému de la mesure, à travers un communiqué commun du syndicat de la presse magazine (SEPM) et de la presse d’information générale (AIPG). Ce texte reprend l’argument de M. de Kerdrel en constatant que « le décret (…) soulève plusieurs points de droit, dont, mais non exclusivement –, celui du non-respect du principe de la personnalité des peines, en raison des règles particulières de responsabilité en matière de presse posées par la loi de 1881, et qui excluent la responsabilité directe de la société éditrice ».
Le ministère « serein »
En réponse, le ministère de la culture, joint par Le Monde, se dit « serein » sur les contestations juridiques de son décret : les condamnations touchent certes des individus, mais ils sont visés en tant que directeur de la publication, les condamnations ne sont pas personnelles, argumente-t-on. On ajoute que les amendes sont souvent payées par les titres, pas par les dirigeants.
Sur la contestation des aides à la presse au niveau européen, le ministère de Fleur Pellerin ne s’affiche pas plus inquiet. Ce type de soutien public à un secteur est un choix politique, au même titre que la neutralité technologique invoquée pour accorder récemment un taux de TVA « super réduit » aux titres de presse sur Internet. Malgré une certaine opposition, Paris estime engranger des soutiens, au niveau européen, sur ces sujets.
Sur le fond, cette réforme des aides au pluralisme vise à soutenir des titres qui contribuent à la « vitalité démocratique », argumente le ministère. Exclure les publications condamnées pour propos racistes ou discriminatoires est « dans l’esprit de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ». L’article 24 de ce texte rappelle que seront notamment condamnés ceux qui auront « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes ».
Une réforme politique ?
Personne n’est visé en particulier à cause de sa ligne éditoriale, c’est un principe républicain, soutient-on au cabinet de Fleur Pellerin. Une tentative de couper court à l’argument selon lequel la réforme est politique et vise à affaiblir des titres d’opposition frontale à François Hollande, comme Valeurs Actuelles, ou proches de l’extrême droite.
Enfin, le ministère rappelle que cette aide au pluralisme ne représente qu’une faible partie de l’ensemble des aides directes et indirectes (via les aides postales notamment). En 2014, un titre d’extrême droite comme Présent a touché 362 745 euros d’aides au total (dont 226 888 euros d’aides directes). Valeurs Actuelles a touché 961 026 euros d’aides à son transport postal mais zéro aide directe. Minute et Rivarol n’ont rien touché.
Parmi la cinquantaine de titres qui pourraient bénéficier des nouvelles aides au pluralisme, on trouve les publications de gauche Le Monde diplomatique ou Politis, les publications chrétiennes Témoignage chrétien, Pèlerin magazine ou Golias, le magazine féministe Causette, le mensuel et site sur l’écologie Terra Eco, voire le bihebdomadaire généraliste Society.
Malgré les arguments du ministère, les fédérations d’éditeurs de presse risquent de ne pas désarmer immédiatement : « Quelles que soient les justifications politiques et morales censées la justifier, une telle exclusion, dans son essence même, rompt avec le principe démocratique intangible de la neutralité de l’action publique vis-à-vis de la presse d’opinion », écrivent-ils, avant d’invoquer Tocqueville : « Pour recueillir les biens inestimables qu’assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu’elle fait naître. »
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