Sous la pression de trois facteurs qui, d’ailleurs, se retrouvent un peu partout aux Etats-Unis – chute constante des vocations, progression géométrique des coûts financiers, déclin des baptêmes et mariages religieux –, l’archidiocèse de New York vient d’annoncer qu’il se voit obligé de fermer au moins cinquante-cinq paroisses – mais le chiffre définitif pourrait être supérieur.
C’est la seconde fois de son histoire, qui remonte à 1850, que le plus prestigieux territoire ecclésial des Etats-Unis procède à une restructuration de son découpage paroissial. Le précédent date de 2007, mais il fut moins spectaculaire – il ne concerna que 21 clochers – et donc moins douloureux pour les fidèles. Ceux-ci sont attristés, perdus, désorientés. Et c’est pour tenter d’aplanir ces moments difficiles que le cardinal-archevêque Timothy Dolan a décidé de jouer sur les mots : on ne parle plus de « fermeture » mais de « consolidation ». Une paroisse consolidée est une paroisse qui fusionne avec une, deux, ou trois autres paroisses, selon les cas, pour permettre un regroupement des services administratifs et comptables afin de réduire les dépenses tout en essayant de maintenir les rentrées. Par cette nouvelle dynamique, un seul prêtre peut assurer en alternance les messes et les confessions dans trois ou même quatre églises différentes distantes de moins d’une heure en voiture.
L’archidiocèse de New York regroupe actuellement 368 paroisses à Manhattan, dans le Bronx, à Staten Island et dans sept cantons situés au nord de la mégapole. Dans cet immense quadrillage de catholicité, trois joyaux se sont vus menacés : l’église du Saint-Rosaire, dans l’est de Harlem, l’historique quartier noir, qui fut la première à New York à accueillir les immigrants portoricains ; l’église de Sainte-Elisabeth de Hongrie, dans le Upper East Side, qui fut construite dans les années vingt par les dons généreux de la petite colonie italienne ; et l’église des Saints-Innocents, établie en 1868, la seule à New York à offrir aux fidèles une messe quotidienne en latin, sauvée in extremis au terme d’une triple neuvaine du Rosaire (trois fois 54 jours).
« Pour beaucoup, la douleur est profonde, écrit le cardinal Dolan dans un éditorial de son journal diocésain. C’est très compréhensible. Les catholiques sincères considèrent leur paroisse comme un foyer spirituel. » Pour cette raison, les « consolidations » qui entreront dans les faits au cours de l’an prochain furent préparées pendant de longs mois. Ayant choisi le processus d’une vaste consultation, on demanda à chacune des paroisses de réunir une équipe de laïcs chargés d’en répertorier les atouts et les faiblesses. Une synthèse fut tirée de ces documents, que l’on confronta avec un rapport réalisé dans le même temps par des clercs rattachés au siège de l’archevêché. Des discussions s’ouvrirent entre les deux groupes au plus haut niveau, qui aboutirent à des recommandations présentées au cardinal Dolan.
Toute cette préparation resta très largement en dehors de la curiosité du public. On avait même suggéré dans la plus grande discrétion, aux fidèles dont la paroisse était « menacée », d’écrire une lettre personnelle au Cardinal, mais sans en faire part autour d’eux et encore moins à la presse. C’est ainsi qu’un millier de lettres durent être dépouillées au siège de l’archevêché – des lettres d’hommes et de femmes blessés par ces changements. Leur univers familier de croyant bascule et cela leur fait mal. Le cardinal Dolan aurait bien voulu s’en tenir à ce genre de témoignage, mais il ne put éviter la mobilisation des paroissiens dont l’église semblait être sur la liste « rouge ». A Saint-Jean-Baptiste, on se lança dans une pétition. A Notre-Dame-du-Mont-Carmel, on organisa une manifestation en plein air avec discours et débats. L’église des Saints Innocents, dans le quartier de Midtown, fut la seule dont les griefs à l’égard de l’archevêché franchirent très largement les frontières de New York pour s’étendre à toute l’Amérique. Car c’est la seule église, on l’a vu, qui continuera d’offrir aux fidèles une messe quotidienne en latin. Non seulement une relique architecturale mais, pour les traditionalistes, tout un symbole.
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