Qui se souvient de William Hope Hodgson ? Malheureusement, l’auteur est bien oublié. C’est à cette négligence du temps que l’auteur, Laurent Quiévy, vient de remédier avec un bien passionnant Qui suis-je ? édité chez Pardès. Hodgson est né en Angleterre en 1877. Fils d’un pasteur, il est le deuxième fils d’une fratrie de douze enfants. Officier dans la marine marchande, il abandonne la vie maritime pour monter une salle de culturisme, donne des conférences sur ses expériences en mer et se lance dans l’écriture fantastique.
— Hodgson est-il un précurseur du fantastique ?
— Clairement, non. Le fantastique existait bien avant Hodgson. Les précurseurs du genre sont plutôt à rechercher du côté du « roman gothique », ou « roman noir », en vogue à la fin du XVIIIe siècle, ou chez Hoffmann et ses nombreux disciples au début du XIXe. Cela étant, même s’il s’inscrit dans une tradition commencée bien avant lui, Hodgson la modernise en injectant dans ses récits fantastiques une pseudo-rationalité de nature scientifique. Il cherche à rendre crédibles ses monstruosités, à une époque marquée par le progrès des sciences.
Par leur nature même de créatures pseudo-scientifiques, elles ont une caractéristique essentielle : celle d’exister objectivement, extérieurement à l’homme et à ses fantasmes. La plupart du temps, les monstres de Hodgson ne proviennent, en effet, ni de troubles psychiques, comme chez Maupassant ou Henry James, ni de fautes ou péchés commis par l’homme, comme chez E.F. Benson ou Nathaniel Hawthorne. Les abominations de Hodgson sont issues des profondeurs inconnues de la mer ou des lointaines et froides étoiles, plus précisément d’une zone de l’Univers qu’il appelle « Le Cercle extérieur », ceinture entourant la Terre à des millions de kilomètres de sa surface et dans laquelle évolueraient des entités extra-terrestres gigantesques composées d’éther organisé.
— Vous évoquez le fantastique « scientifiquement rationalisé » de Hodgson, pouvez-vous nous en dire quelques mots et nous expliquer en quoi ce surnaturel diffère de celui qui s’en inspirera, je veux parler de Lovecraft ?
— Si on lit l’ensemble de l’œuvre fantastique de Hodgson, on ne peut manquer d’observer le besoin qu’il ressentait, la plupart du temps, d’expliquer les phénomènes ou entités surnaturels qu’il décrit par le recours à la science officielle, consensuelle, de son époque, ou à une pseudo-science de son invention. Ce fantastique scientifiquement rationalisé transforme des mystères immémoriaux, voire relevant du sacré, en phénomènes naturels d’essence (plus ou moins) scientifique. Hodgson et Lovecraft se séparent, cependant, dans leur conception philosophique de l’univers, traditionnellement manichéenne, chez le premier, qui ne rejette donc pas la vision judéo-chrétienne du bien et du mal (même s’il n’a aucun penchant pour la religion), et amorale chez le second, athée convaincu, pour qui le cosmos est aveugle, totalement indifférent à l’humanité, considérée comme le résultat transitoire et dénué de toute importance du perpétuel réarrangement d’atomes qui caractérise la marche de l’univers.
— Peut-on dire de Carnacki, le détective du surnaturel de Hodgson, qu’il est un successeur de Holmes, en ce sens qu’il utilise ses facultés de perception et de déduction pour résoudre les énigmes ?
— Tout à fait, il fait partie de cette longue lignée de fins limiers, débutant par Dupin, créé par Edgar Poe, et se poursuivant par Sherlock Holmes et autres John Silence. C’est d’ailleurs pour surfer sur la réussite commerciale de ces deux derniers enquêteurs que Hodgson inventa son propre détective. Il ne rencontra malheureusement pas le même succès que Conan Doyle et Algernon Blackwood. Il faut dire qu’en dépit de la modernité des méthodes d’investigation de son héros (appareils électriques, magnétiques, etc), le personnage créé par Hodgson manque cruellement de chair et de vie, ainsi que d’un charisme susceptible de donner au lecteur l’irrésistible envie de le retrouver d’une aventure à l’autre, comme cela doit être pour les personnages de série. Par ailleurs, en dehors du très talentueux conte Le Verrat, baignant dans une atmosphère d’épouvante assez exceptionnelle, les histoires de Carnacki me semblent plutôt faibles au regard des autres fictions de l’écrivain. Mais Carnacki a ses lecteurs, ses continuateurs (des écrivains qui le mettent en scène bien après le décès de son créateur original), un site internet (anglais) et même un jeu de rôle. N’en dégoûtons donc pas les autres !
• Qui suis-je ? Hodgson. Editions Pardès, 44 rue Wilson, 77 880 Grez-sur-Loing, 12 euros.
Lu dans Présent