Les généalogistes touchent jusqu’à 40% d’une succession et certains volent tout!

Deux études généalogiques ont abusivement utilisé les héritages de près de 1900 clients. Plusieurs millions d’euros ont été dilapidés. Inquiète, la profession tente de contenir ces «sinistres».

«J’ai perdu 100.000 euros. C’est lamentable». Au bout du fil, Martine ne décolère pas. Cette retraitée de 69 ans, qui vit dans le Val-de-Marne, affirme avoir vu son héritage s’envoler du jour au lendemain. Pourtant, tout avait bien commencé pour cette ancienne secrétaire. Un beau jour de 2015, un généalogiste de l’étude Maillard, mandaté par un notaire, l’a contactée pour lui annoncer qu’elle allait hériter des biens d’un demi-frère dont elle ignorait jusqu’ici l’existence. «Je me souviens, on m’a téléphoné et on m’a demandé si j’étais bien assise avant de m’apprendre la nouvelle», raconte-t-elle. «Vous imaginez bien, ça m’a fait un coup d’apprendre que j’avais un demi-frère». Sans parler de l’héritage. «J’étais à la fois surprise et contente».

Mais pour en savoir plus sur la teneur de cet héritage, elle doit, comme le veut la pratique, signer un «contrat de révélation de succession» avec le généalogiste. Ce chasseur d’héritiers, qui exerce une activité à mi-chemin entre le métier de détective et celui de notaire, se rémunère en prenant une part de son héritage (environ 40%). En échange de quoi, il la représentera auprès du notaire, finalisera la succession et lui reversera son argent. Comme c’est souvent le cas, les fonds passent donc du notaire au généalogiste qui reverse lui-même les sommes à l’héritier. Confiante, Martine signe. «Il y avait deux appartements et de l’argent placé sur des comptes», se souvient-elle. Avec sa sœur, il était prévu qu’elles touchent chacune 100.000 euros.

«Cet héritage était un miracle pour ma soeur»

Sauf que l’argent n’est jamais arrivé. A la mi-2016, «un employé de Maillard m’a prévenue qu’il n’avait plus de quoi payer et qu’il fallait mieux que je prenne un avocat». En effet, quelques mois plus tard, en janvier 2017, l’entreprise Maillard met la clé sous la porte. La société, un temps numéro 4 du secteur de la généalogie successorale, est déclarée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Paris. Le liquidateur découvre alors que l’étude généalogique a abusivement utilisé les héritages de ses clients pour éponger ses dettes et qu’elle a dilapidé tout leur argent.

Comme Martine et sa sœur, ils sont près de 1700 héritiers à avoir été floués. «C’est de l’argent qui nous revenait. On leur a fait confiance et ils ont abusé de nous», déplore la retraitée. «Non seulement, ils ont pris leurs honoraires mais en plus ils ont gardé notre héritage, c’est inacceptable». Elle est d’autant plus contrariée que sa sœur aurait bien eu besoin de cet argent. «Après un accident, elle est restée des années dans le coma. Puis son mari l’a quittée et elle s’est retrouvée seule. Depuis, elle a du mal à finir ses fins de mois et va aux Restos du cœur. Cet héritage était un miracle pour elle, ça l’aurait tirée d’affaire». «C’est forcément une grosse déception», affirme pour sa part l’avocate d’un héritier lésé. «On leur a annoncé qu’ils avaient gagné au loto et brutalement, on leur dit qu’ils ont perdu le ticket gagnant».

5 millions d’euros dilapidés

Les sommes destinées aux ayants droit étaient très variables. 151.000 euros pour le montant le plus important. Ensuite, 170 personnes devaient toucher plus de 5000 euros et 390 autres, entre 1000 et 5000 euros. Les autres devaient percevoir moins de 1000 euros. Des sommes que les héritiers ne sont pas sûrs de récupérer dans leur intégralité. «Le cabinet ayant camouflé la situation, l’assurance ne devrait pas fonctionner», pense une source proche du dossier. Tous les héritiers ont été avisés ; certains ont réagi avec colère, d’autres ont pris la nouvelle avec plus de sérénité. «Ils ne s’attendaient pas à toucher cet argent donc certains sont moins affectés que dans une situation de succession classique», estime un collaborateur du liquidateur.

Une première question vient alors à l’esprit: comment le dirigeant de cette vieille entreprise fondée en 1918 s’est-il retrouvé à prendre l’argent des héritiers? «Imaginez une baisse de contrats, des dépenses plus élevées, des dossiers compliqués, le train de vie du dirigeant. Les besoins en trésorerie augmentent et la direction puise dans les fonds des héritiers pour honorer ses dettes», résume le liquidateur. Les montants en jeu sont importants: sur les 8 millions de dettes estimées, environ 5 millions auraient dû revenir aux héritiers. Cet argent aurait même servi, un temps, à investir pour étendre l’activité du cabinet.

Enquête préliminaire pour «abus de confiance» et «escroquerie»

Au fil des ans, la dette a grossi et les «emprunts» sur les fonds des héritiers ont continué à être prélevés, jusqu’à la faillite. Ce sont les salariés qui ont fini par signaler la situation. Alerté fin 2016, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour «abus de confiance» et «escroquerie». «Les investigations ont été confiées à la brigade de recherches et d’investigations financières (BRIF) et sont toujours en cours», nous indique une source judiciaire. Contacté par Le Figaro, le dirigeant de l’entreprise n’a pas donné suite.

Un scénario similaire se serait produit avec l’entreprise P. Jouannet qui compte 6 à 9 salariés. Elle aussi a fait faillite et a été déclarée en liquidation judiciaire fin août. Selon nos informations, elle aurait ponctionné 1,2 millions d’euros sur les fonds héritiers, faisant 170 «victimes». Là encore, le parquet de Paris a ouvert une autre enquête préliminaire fin septembre pour les mêmes incriminations que pour la société Maillard.

Des comptes pas sécurisés

Comment ces deux «cabinets» ont-ils pu aussi facilement utiliser les fonds des héritiers à d’autres fins? La réponse tient en partie dans le fait que cette profession n’est pas réglementée. Il y a bien la loi du 23 juin 2006 qui oblige le chasseur d’héritiers à être mandaté par «toute personne qui a un intérêt direct et légitime à l’identification des héritiers ou au règlement de la succession». Mais le texte est loin d’encadrer la profession dans son ensemble. Par exemple, il n’y a pas d’obligation légale d’avoir deux comptes séparés, entre celui de l’entreprise et celui qui héberge les fonds des héritiers. Pas d’obligation non plus d’avoir un compte sécurisé, à l’image d’autres professions réglementées: le compte CARPA pour les avocats ou un compte séquestre pour les notaires. Ce type de compte a pour effet d’isoler et de sécuriser des fonds du reste de l’entreprise. En cas de liquidation judiciaire, ces fonds sont intouchables et peuvent être immédiatement restitués à leurs propriétaires. «Sans ça, il peut être tentant d’utiliser les fonds des héritiers pour éponger les dettes et faire fonctionner l’étude», glisse un généalogiste, sous couvert d’anonymat.

«Toute profession manipulant des fonds de tiers doit pouvoir les protéger», estime pour sa part le liquidateur. «Les généalogistes devraient en faire partie». D’autant que la profession brasse beaucoup d’argent: les génalogistes restituent chaque année 350.000 millions d’euros aux héritiers. L’autre solution consisterait à laisser les fonds chez les notaires, qui reverseraient les honoraires aux généalogistes. Mais dans la profession, rares sont ceux qui y sont favorables. «Les habitudes ont la vie dure», soupire l’un d’eux. Comme Maillard ou Jouannet, combien d’autres études généalogiques pourraient connaître le même sort? «Je pense que d’autres vont suivre», prédit une source proche du dossier.

Panique dans la profession

Depuis le début de l’année, ces deux affaires ont secoué cette profession centenaire mais peu connue. En témoignent des documents internes de Généalogistes de France, une union syndicale qui regroupe 130 études membres, soit 95% des généalogistes successoraux et familiaux. «La période que nous traversons est particulièrement préoccupante», écrivait en janvier dernier son dirigeant, Antoine Djikpa, dans un courrier adressé aux présidents des syndicats adhérents et que s’est procuré Le Figaro. «Les faits que nous connaissons aujourd’hui portent très gravement atteinte au crédit des membres de Généalogistes de France», ajoute-t-il. La profession craint alors que l’affaire ne sorte dans la presse. Un «mémo» rédigé par une agence de communication et destiné à «l’ensemble des dirigeants et collaborateurs des études de généalogie» indique la marche à suivre «en cas de sollicitation de journalistes».

Car il y a de quoi ternir l’image d’une profession: auprès des clients mais aussi des notaires, avec qui les généalogistes collaborent étroitement (les officiers du ministère public représentent 80% de leur activité, loin devant les banques, les compagnies d’assurances, les administrateurs judiciaires ou les collectivités territoriales). Sans surprise, les incidents Maillard et Jouannet préoccupent les notaires. «Forcément, la confiance est remise en question», admet Antoine Dejoie, vice-président du Conseil supérieur du notariat, tout en veillant à rappeler que les généalogistes sont des «spécialistes incontournables» dans la recherche des héritiers qui s’ignorent. «Des discussions sur des garanties qu’ils pourraient apporter sont en cours», ajoute-t-il, sans plus de précisions.

« C’est sûr qu’il y aura des personnes lésées »

Antoine Djikpa, président de Généalogistes de France

De leur côté, les Généalogistes de France tentent de contenir ces affaires bien gênantes: «Ces pratiques ne sont évidemment pas représentatives de l’ensemble de la profession et nous condamnons ces agissements», se défend son président Antoine Djikpa auprès du Figaro. «C’est très choquant moralement, d’autant que ça se fait au détriment des héritiers et de la profession qui essaie de se réglementer».

Des mesures ont été prises: les deux études mises en cause ont été exclues de l’organisation. Idem pour un troisième cabinet qui n’a pas été en mesure de «représenter les comptes» de ses clients héritiers. Ensuite, la fédération a fait en sorte que les héritiers floués chez Maillard puissent récupérer une partie de leur argent. Plusieurs cabinets ont racheté des dossiers en cours. Une partie des honoraires issus de ces dossiers sera reversée au liquidateur, ce qui devrait permettre de rembourser en partie les héritiers. Antoine Djikpa espère également que les assurances fonctionneront. «Mais c’est sûr qu’il y aura des personnes lésées», admet-il. Un mécanisme similaire est envisagé pour l’étude Jouannet.

Ménage dans la profession

Généalogistes de France entend aussi agir à plus long terme pour éviter de nouveaux «sinistres». Des réflexions sont en cours pour apporter des garanties aux clients et sécuriser les comptes tiers. Il a notamment été décidé «d’entrer en négociations avec la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC)» et de «négocier de nouvelles garanties» auprès de leurs assurances, précise la profession dans un communiqué. Les généalogistes ne sont pas non plus hostiles à une réglementation, même si, affirme Antoine Djikpa, le législateur n’y a jamais été favorable. Enfin, la profession, qui tente de «s’auto-réglementer» depuis plusieurs années, a renforcé les contrôles en mandatant un nouveau cabinet d’audit indépendant pour examiner les comptes des membres de l’organisation.

Les résultats de cette enquête ont été dévoilés ce jeudi: «Seules 5 petites entreprises n’ont pas voulu se soumettre à l’audit», se satisfait l’organisation, qui annonce avoir exclu les mauvais élèves. Selon nos informations, ces cinq cabinets récalcitrants ont démissionné de Généalogistes de France, mettant notamment en avant le surcoût que représentait cet audit pour «les petits et moyens cabinets» qui ne doivent «pas payer pour les erreurs des autres».

Dans le Val-de-Marne, Martine attend toujours, sans savoir si elle pourra finalement toucher son dû. Elle a déposé plusieurs plaintes et pris un avocat.

 

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