« Un Suédois à Paris » est le portrait d’un homme par sa collection, avec pour décor le Paris du XVIIIe siècle vers lequel l’Europe a les yeux tournés. Fils d’un architecte de la cour de Suède qui était surintendant des Bâtiments du roi, Carl Gustaf Tessin (1695-1770) se destine à la même carrière que son père. Francophilie oblige, il fait un premier séjour à Paris de 1714 à 1716 où il est en apprentissage chez Jean Berain le Jeune. Il file ensuite à Rome où il oublie quelque peu ses études d’architecte au profit des cartes et des dames. La colère paternelle éclate.
Le basset Pehr avec prise de chasse (1740). Stockholm, Nationalmuseum. © Cecilia Heisser / Nationalmuseum
En 1728, son père meurt et Carl Tessin est nommé à sa place surintendant, chargé de surveiller la construction du palais royal de Stockholm. « Je trouvai nécessaire de rafraîchir mon œil et d’affiner mon goût en entreprenant un voyage à l’étranger », écrira-t-il plus tard. Or il n’est de bon goût qu’à Paris : ce sera son deuxième séjour (1728-1729). Attiré par la peinture, il est convaincu que son mécénat contribuera à asseoir la réputation de la Suède parmi les cours européennes et à affiner le goût suédois. Il commande directement deux peintures à des artistes en vue : un Jugement de Pâris à Coypel, des Adieux de Vénus et Adonis à Lemoyne. Il achète des Lancret, des Pater, peintures dans le goût de Watteau plus fades que le modèle mais non dénuées de charme. La paire de Lancret est très belle : au Colin-Maillard répond l’Escarpolette, avec, entre les deux tableaux, des oppositions et des rappels.
Monsieur l’Ambassadeur
Albrecht Dürer, Portrait d’une jeune femme aux cheveux tressés (1515). Stockholm, Nationalmuseum. © Cecilia Heisser / Nationalmuseum
Le troisième séjour à Paris (1739-1742) de Carl Gustaf Tessin est le plus fastueux : sans en avoir le titre, il assume les fonctions d’ambassadeur. Menant grande vie, il prépare sa ruine (elle arrivera en 1749), mais pour le moment son argent passe en réceptions et en achat de tableaux. Quels tableaux ! La naissance de Vénus, c’est lui qui l’a commandé à François Boucher. Le beau portrait de son basset nommé Pehr (avec lapin, faisan et fusil), il l’a commandé à Jean-Baptiste Oudry. A Chardin il achète la remarquable Toilette du matin. Ces trois tableaux datent de 1740, mais bien sûr il achète d’autres Chardin (Lièvre avec chaudron de cuivre rouge), d’autres Oudry (Caniche en lutte avec un butor), d’autres Boucher (deux toiles plus libertines). Et des dessins de Watteau, de Boucher, si belles figures de femmes à la sanguine…
Les contacts de Tessin avec les milieux artistiques ne doivent pas faire oublier ses contacts avec les milieux littéraires (Fontenelle, Marivaux) et, bien sûr, avec ses consorts collectionneurs : le comte de Caylus, Pierre-Jean Mariette, le peintre Boucher lui-même qui lui vend en 1741 un beau paysage hivernal de Wouverman : Scène de traîneau sur la glace. Une acquisition parmi d’autres qui donne à la peinture nordique du XVIIe siècle une belle place dans l’ensemble.
1741, c’est l’année où Tessin fait portraiturer son épouse par Nattier, c’est aussi l’année de la vente Crozat : des milliers de dessins ayant appartenu au banquier Pierre Crozat sont mis aux enchères. Tessin est l’un des principaux acheteurs, avec pas moins de 2 057 dessins. L’ensemble est prestigieux : le Primatice, le Titien, Guido Reni, Rembrandt, Ostade, Hoogstraten, Raphaël, Jordaens… La sélection retenue par le Louvre donne la part belle aux portraits, dont un remarquable portrait de jeune femme par Dürer – un trésor parmi d’autres.
Samuel Martin – Présent
Un Suédois à Paris – la collection Tessin. Jusqu’au 16 janvier 2017, musée du Louvre.