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C’est Hélène Gordon-Lazareff, la fondatrice de ELLE, qui, dès 1954, sollicite la plume de Françoise Sagan et transforme ainsi le « charmant petit monstre » (dixit François Mauriac) en charmant petit reporter. « Sans se douter de l’amitié qui naîtrait entre elles, la directrice du journal lui commanda des récits de voyage et l’envoya en Italie à Naples, à Venise et à Capri », raconte dans son avant-propos Denis Westhoff, à qui l’on doit depuis plusieurs années la réédition de l’oeuvre de sa mère dans des habits neufs et chics. Primesautières et spirituelles, les chroniques italiennes donnent envie de sauter dans un avion.
Moins connu, « Le clochard de mon enfance » est publié en 1955 dans ELLE alors qu’il a été envoyé avant la parution de « Bonjour tristesse ». Cette nouvelle exquise narre l’amitié d’une adolescente pour un homme qui a abandonné femme, enfants, bonne voiture et excellente situation pour habiter sous les ponts. « Je voulais voir le temps passer, le jour descendre, je voulais écouter le battement du sang à mes poignets, éprouver la dureté et la douceur des jours. » Tout l’esprit de Sagan habite ces pages écrites alors qu’elle n’a pas 18 ans et qui s’achèvent par cette phrase digne d’un vieux sage : « Et le goût du temps accroché à moi comme une bête désormais familière. »
Puis Sagan se fait critique de cinéma pour « L’Express », collabore à « Égoïste » et « Femme ». Le point commun de ces articles variés ? Sagan se fiche des convenances comme de son premier crayon, en témoigne sa vision du film de Duras, « Moderato cantabile », au cours duquel elle se retient de pousser des cris d’ennuis. « Jeanne Moreau (ou comment louper une interview) » devrait être lu et appris par coeur par tous les apprentis journalistes. Et puis, cadeau, l’auteure d’« Aimez-vous Brahms ? » écrit encore pour ELLE, comme cet « Yves Saint Laurent » en 1980. Dans ce tableau d’un génie surchargé de responsabilités terrifiantes, hésitant entre l’ivresse de la création et l’envie de tout arrêter, difficile de ne pas voir un autoportrait en miroir. On sourit, on s’émeut, Sagan n’écrit pas ses chroniques, elle les vit. Et nous avec.
Chroniques 1954-2003 , Françoise Sagan (Le Livre de Poche)