C’est une question explosive alors que les conséquences de l’immigration pèsent de plus en plus sur une France en proie à des tensions identitaires de plus en plus grandes : combien y a-t-il de clandestins en France ? La réponse est évidemment impossible à l’unité près. Néanmoins, de nombreux indices permettent d’apporter une estimation réaliste. C’est ce qu’André Posokhow a tenté de faire dans les lignes ci-dessous, avec le sérieux et la minutie qui le caractérisent. Et le résultat est à peine croyable : il y aurait entre un million et un million et demi de clandestins dans l’hexagone. Pourtant, les données disponibles rendent ce résultat probable. Reste que cette estimation réalisée par André Posokow réclame d’être confirmée par des travaux gouvernementaux. Mais, dans le domaine de l’immigration, les autorités préfèrent souvent le silence.
Stabilité annoncée et prudence manifestement trompeuse
En 2006, une commission d’enquête du Sénat a produit un rapport sur l’immigration clandestine.
Il y était constaté que rares étaient les personnes que la commission avait entendues qui s’étaient aventurées à fournir une évaluation chiffrée du phénomène. La commission regrettait que, si les chiffres communiqués semblaient vraisemblables, ils demeuraient sujets à caution, compte tenu des lacunes du dispositif statistique.
Ce rapport a rappelé des estimations antérieures.
Le précédent rapport du Sénat
En juin 1998, dans un rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les régularisations d’étrangers en situation irrégulière présidée par Paul Masson, il était écrit qu’« une estimation du nombre des clandestins entre 350 000 et 400 000 ne paraît pas éloignée de la réalité »
Les chiffres avancés par Nicolas Sarkozy
En 2005, selon Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, entre 200 000 et 400 000 étrangers en situation irrégulière étaient présents sur le territoire national et entre 80 000 et 100 000 migrants illégaux supplémentaires y entreraient chaque année.
Entre parenthèse, la cohérence entre les chiffres du stock et ceux du flux n’est compréhensible que s’il a été procédé à des régularisations massives.
La direction des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur
Selon le Sénat, à la même époque, la direction des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur a expliqué concernant l’estimation du « stock » qu’ « elle prend pour base minimale le nombre (150 000) d’étrangers en situation irrégulière qui bénéficient de l’aide médicale d’Etat. Sur cette base, et en y ajustant un pourcentage du flux annuel (pour tenir compte, d’une part, des régularisations « au fil de l’eau » et, d’autre part, des départs volontaires), on peut raisonnablement estimer ce stock à environ 400 000 personnes. »
Une évaluation fouillée et détaillée de Jean-Paul Gourévitch
Jean-Paul Gourévitch a procédé, dans ses monographies sur l’immigration et notamment la n°25 de 2011 sur le coût de l’immigration irrégulière, à une estimation très documentée et argumentée du nombre de migrants irréguliers : « Les estimations livrées officiellement entre 2008 et 2009 d’un nombre de migrants en situation irrégulière compris entre 200 000 et 400 000 sont donc nettement en-dessous de la vérité ».
Il présente les chiffres suivants : « 550 000 migrants en situation irrégulière en métropole, 131 500 en Outre-mer ». Soit un total de 680 000 clandestins que J.P. Gourévitch a repris dans sa monographie n°27 de 2012. C’est ce même chiffre qu’a cité Polémia dans son étude sur le coût de l’immigration.
A notre connaissance personne n’a contesté ces chiffres, nettement supérieurs à ceux d’origine officielle.
Une estimation loufoque de Gérard Collomb.
En 2017, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a avancé, devant l’Assemblée nationale, une estimation de l’immigration irrégulière qui, visiblement, se voulait rassurante et qu’il n’a pas jugé utile de justifier : 300 000, c’est-à-dire moins que l’estimation de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur en 2004 et moins que le chiffre des bénéficiaires de l’AME ce qui constitue une mauvaise farce.
Nous sommes tenus dans le doute et probablement dans l’ignorance de la réalité de la quantification de l’invasion clandestine
Les faiblesses officielles
Premier constat : un document officiel comme les rapports au Parlement sur les étrangers en France annonce clairement en tête du chapitre sur l’immigration irrégulière qu’il n’est pas en mesure de communiquer une évaluation. Donc ignorance affirmée voire revendiquée.
Second constat : les estimations proposées, sauf celles de JP Gourévitch, particulièrement charpentées, ne sont pas documentées, expliquées, justifiées et apparaissent comme vagues et peu convaincantes.
Les vives protestations de la démographe Michèle Tribalat
La démographe Michèle Tribalat s’est plainte à plusieurs reprises d’« approximations à partir de calculs de coin de table », notamment dans un article récent dans le Figaro :
« La collecte statistique, si elle a progressé depuis le début des années 1990, n’est pas encore suffisamment accessible, compréhensible et cohérente. L’Insee est chargé de la coordination des activités de la statistique publique et, d’après le code des bonnes pratiques de la statistique européenne en ligne sur son site, il est le garant, entre autres, de la fiabilité, de la cohérence, du caractère comparable, de l’accessibilité et de la clarté des statistiques publiques. Or les tableaux sur l’immigration que la statistique publique française transfère à Eurostat ne sont pas toujours cohérents, ce qui donne l’impression, parfois, que personne ne les a jamais vraiment regardés dans le détail ».
Elle ajoute que la transparence et la disponibilité à l’égard du public ne sont pas ce qu’elles pourraient être.
Une stabilité des évaluations présentées au public qui mettent à mal leur fiabilité
Les chiffres officiels apparaissent comme particulièrement stables et évoluent peu : entre 350 000 et 400 000 en 1998 et 300 000 selon Collomb en 2017. Par ailleurs, les estimations citées remontent, sauf la dernière, à plus de 10 ans et apparaissent vieillies.
En revanche, les chiffres de l’AME (Aide Médicale d’Etat) ont quadruplé sur une période identique : 79 361 en 2000, 226 611 en 2010 et le nombre des bénéficiaires de l’AME passera en 2019 à 346 000.
L’immigration a, elle, changé de nature et revêt – sous la pression de canaux migratoires diversifiés et de plus en plus abondants sous la protection vigilante des pouvoirs publics, de nombre de juges et de Bruxelles – le caractère d’une grande invasion historique. Dans ce contexte, une telle stabilité de chiffres de l’immigration clandestine peut apparaître dérisoire et comme un pur et simple bobard de calculette si des explications et des justifications crédibles ne sont pas produites.
On ne fera pas croire à un citoyen français d’intelligence moyenne et doté de bon sens que les politiciens et ces statisticiens n’ont pas dans leur for intérieur une idée, non pas d’un chiffre, mais d’une fourchette qui pourrait donner un ordre d’idée. C’est ce que, devant les failles de la fiabilité des chiffres officiels, nous nous proposons de faire.
Nos propositions d’estimation du stock d’envahisseurs irréguliers
A partir des flux depuis 2011
Il est proposé de partir de l’estimation par J.P. Gourévitch dans sa monographie n°25 de 2011 du stock d’immigrés clandestins à fin 2010 : 680 000.
A ce chiffre sont ajoutés, au titre des années 2011 à 2018, les déboutés du droit d’asile : total de 481 952.
Sont également ajoutées les entrées clandestines hors frontières : 325 000. Le stock actuel de Mineurs Isolés Etrangers (MIE) – 40 000 au minimum – est considéré faisant partie des entrées clandestines.
Sont déduits le total des éloignements exécutés qu’ils soient forcés ou volontaires : 235 763, et des régularisations : 236 439.
Au final le nombre d’illégaux auquel aboutit cette méthode s’élève à environ 1 015 000.
Le rapport d’information de l’Assemblée nationale (A.N.) sur l’action de l’Etat en Seine Saint Denis (2018)
En mai 2018, un rapport d’information a été remis par le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale sur l’action de l’Etat en Seine-Saint-Denis. Au sein de ce rapport accablant, voire angoissant car ce département échappe désormais à l’autorité de l’Etat, il convient de retenir deux passages importants et révélateurs :
« Le département est un sas d’entrée de la France par l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle »
« Sur le flot d’entrants figurent des personnes désireuses de demeurer en France mais ne disposant pas des titres de séjours les y autorisant »
« Ces hommes, femmes et enfants sont une réalité démographique avec laquelle les pouvoirs publics doivent compter. Or, ces derniers n’arrivent pas à les dénombrer. Selon les estimations des interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs, ces personnes en situation irrégulière seraient entre 150 000, 250 000 personnes voire 400 000 »
La seule certitude est l’incertitude dans laquelle l’État est plongé concernant le chiffre d’étrangers en situation irrégulière en Seine-Saint-Denis
Incertitude que traduisent les estimations reconnues comme « officielles », données par le directeur de l’immigration du ministère de l’intérieur, entendu par les rapporteurs : « le chiffre de 150 à 200 000 personnes est crédible, si l’on s’appuie sur le calcul consistant à multiplier par trois les 56 000 ou 57 000 bénéficiaires de l’AME, un chiffre déjà minoré par rapport au public potentiellement concerné, car il exclut tous les étrangers qui ne remplissent pas l’un des deux critères d’admission à cette aide ». Cette estimation également reprise par M. Pierre-André Durand, préfet de Seine-Saint-Denis, lors de son audition par les rapporteurs, et qualifiée de « crédible » se laisse une marge d’erreur de 33 %… »
Entre parenthèse, ce coefficient de 3 était déjà connu en 2005 et, apparemment personne n’en a tenu compte publiquement. (Voir ci-dessus les explications de la direction des affaires juridiques du ministère de l’intérieur à l’époque)
Nous en tirons deux possibilités d’évaluation.
Estimation par le rapport avec les populations des départements les plus touchés par l’invasion massive
Si l’on en croit le rapport de l’Assemblée nationale de 2018 (voir le premier passage ci-dessus), le ratio entre le nombre de clandestins (version basse) : 150 000 et la population du 93 : 1.646 105 habitants est d’environ 9 %.
Cette méthode consiste à appliquer ce ratio aux populations des départements jugés de nature à connaitre le même phénomène de clandestins que le 93 : Oise, Val d’Oise, Essonne, Yvelines, Hauts-de-Seine, Paris, Val-de-Marne, Haute-Garonne, Bouches-du-Rhône, Alpes-Maritimes, Rhône. On aboutit ainsi à un nombre de clandestins d’environ 1 600 000.
Cette méthode présente des aspects que l’on peut discuter : la liste des départements, le ratio de 9% appliqué uniformément à tous les départements.
En revanche, c’est le bas de la fourchette de l’estimation du nombre de clandestins, c’est-à-dire 150 000, qui est retenu alors que l’éventail va de ce chiffre à 400 000.Ce choix reflète la prudence de notre démarche car on peut estimer que cette différence stupéfiante entre les deux chiffres correspond à la situation particulière du 93.
La question est de savoir si une telle situation ne se retrouverait pas dans d’autres départements et si on peut s’attendre à des révélations d’autres chiffres méconnus ou cachés à la suite d’enquêtes similaires qu’il demeure à lancer.
C’est donc aux parlementaires qu’il revient d’amplifier le travail réalisé sur le 93 et de se saisir sérieusement de la thématique dans son intégralité. Ils disposent pour cela de moyens importants : commissions d’enquête et à défaut ou pour les non-inscrits comme les députés du RN en lançant des batteries de questions écrites. C’est ce qu’a fait avec succès la sénatrice Nathalie Goulet pour la fraude sociale.
Estimation sur la base de l’AME
On peut estimer le nombre de bénéficiaires de l’AME en 2019 à environ 346 000. Selon le Sénat le nombre de bénéficiaires, fin 2017, s’élevait en effet à 315 835 et le gouvernement table sur une croissance annuelle de ce nombre de 4,7 % rapporte Valeurs actuelles.
Si l’on applique le coefficient d’extension 3 cité dans le passage cité ci-dessus, on aboutit à 346 000*3 = 1 038 000.
Mais, comme l’indique le directeur de l’immigration du ministère de l’intérieur qui doit savoir ce dont il parle, le chiffre de l’AME est minoré par rapport au public potentiellement concerné. Le préfet du 93, quant à lui, qui a forcément un aperçu de la réalité de son département, a repris, lors de son audition, cette méthode d’estimation, qualifiée de crédible avec une marge d’erreur de 33 %.
C’est la raison pour laquelle cette marge d’erreur qui provient de la minoration du chiffre de l’AME doit se traduire par une augmentation du coefficient multiplicateur.
Ainsi le haut de la fourchette obtenu par cette méthode serait de 1 038 000*1,33 = 1 380 000.
Soit un moyen terme de 1 200 000.
Conclusion
Les chiffres de l’immigration clandestine que nous proposons sont compris à l’intérieur d’une fourchette comprise entre 1 015 000 et 1 600 000. Cet ordre d’idée apparaît évidemment très éloigné des estimations habituelles qui présentent la particularité de ne pas être expliquées et justifiées, sauf celles établies par Jean Paul Gourévitch en 2011.
Les choix opérés et les calculs présentés feront probablement l’objet de contestations et de controverses. Il convient de souligner que, trop souvent, on se heurte à une opacité que souligne par ailleurs Madame Tribalat.
Ce qui est déterminant dans cette tentative de quantification du stock de clandestins, c’est évidemment le rapport d’information de l’Assemblée nationale qui donne une fourchette de clandestins stupéfiante comprise entre 150 000 et 400 000 clandestins dans le 93 et qui a marqué l’opinion publique. De même, les deux hauts fonctionnaires audités ont été obligés d’afficher publiquement le coefficient 3 à affecter au nombre de bénéficiaires de l’AME. Il apparaît regrettable que le verbatim des auditions du comité d’évaluation ne figure pas en annexe du rapport pour justifier plus avant le contenu des passages que nous avons cités.
En définitive, l’imprécision des statistiques visant l’immigration et les limites fixées à une connaissance de données chiffrées importantes expriment simplement un mépris à l’égard de l’opinion publique et sont indignes de la part des politiques, de l’administration, et de statisticiens qui, comme Hervé Le Bras, se déshonorent en soutenant que l’« origine étrangère des Français » est un domaine qui doit être exclu de l’investigation scientifique.
De même, il faudra qu’un jour on nous explique ce que deviennent en France les déboutés du droit d’asile qui ne sont pas expulsés, les MIE au bout de trois ans de centre d’accueil, les titulaires de visas de courte durée ou de tourisme qui ne rentrent pas chez eux, les étudiants étrangers qui ont fini ou pas leurs études et qui ne reviennent pas dans leur pays d’origine, les pratiquants du tourisme médical, etc… A l’évidence, pour la plus grande partie, ils ne rentrent pas sagement chez eux et s’évaporent dans la brume de l’aveuglement volontaire et du renoncement.
On pourra nous reprocher d’avoir fait des calculs de coin de table C’est pourtant à ceux que l’on croit être des responsables – politiques, parlementaires, fonctionnaires qui sont payés pour cela – qu’il revient de faire ce travail d’évaluation de l’immigration clandestine et de le justifier comme cela est en train d’être réalisé pour la fraude sociale. C’est eux qui doivent le communiquer et l’expliquer au public.
Qu’ils donnent les chiffres et qu’ils les justifient.
André Posokhow – Polémia