Mélanie et Rémy, respectivement incarnés par Ana Girardot et François Civil, ont beaucoup en commun, à commencer par leur solitude affective. Résidant dans le même quartier de Paris, voisins sans le savoir, seuls quelques murs les séparent. Ils se croisent quotidiennement, dans les transports ou dans la rue, fréquentent les mêmes commerces, mais demeurent parfaitement anonymes l’un pour l’autre.
La solitude, propre aux métropoles modernes, pèse à chacun et les dirige un temps, sans succès, vers les sites de rencontres et les réseaux dits « sociaux ». Les deux n’ont, pour meubler leur existence, qu’une vie professionnelle peu enthousiasmante : Rémy travaille dans un centre d’appel où ses collègues le désignent par un numéro ; et Mélanie, qui s’en sort le mieux, est chercheuse en laboratoire afin de lutter contre le cancer. Un travail qui l’accapare et accentue largement ses tendances hypersomniaques. Par la force des choses, pourtant, ces deux trajectoires finiront par se croiser. À quel moment, comment ? Tout cela reste à déterminer, mais la promesse est là, Cédric Klapisch est un éternel optimiste.
Pour son treizième film, le réalisateur poursuit la voie entreprise depuis Casse-tête chinois qui consiste à tenir compte des vices de la modernité et à restreindre, en partie du moins, cette légèreté excessive qui caractérisait jusque-là son cinéma – on pense, évidemment, aux deux premiers volets de L’Auberge espagnole et à Chacun cherche son chat dont il est fait ici une référence aussi appuyée que bienvenue.
Avec Deux moi, Klapisch nous livre un film plus épuré qu’à l’accoutumée, laisse peu de place aux effets de montage dont il est habituellement friand et ose des tonalités plus ternes de lumière et de couleurs. Moins baroque que ses précédents longs-métrages, celui-ci fait preuve d’une plus grande maturité de la part du cinéaste. Après la mondialisation – heureuse ou pas – des relations humaines, Klapisch se recentre avec bonheur sur les conséquences plus triviales (et mieux partagées, à la fois, par le plus grand nombre) de l’exode rural. Un arrachage à la terre d’origine (l’une des thématiques, déjà, de Ce qui nous lie) qui achève de nous déshumaniser en nous noyant dans une masse où chacun tente de faire son trou et peine à nouer des liens solides avec autrui. La réussite du film revient en partie à Ana Girardot, qui porte le récit sur ses épaules et se singularise, ici, des égéries actuelles du cinéma français en jouant l’introversion et la simplicité. François Civil, un choix d’acteur peu évident compte tenu du personnage qu’il interprète, s’en sort également avec les honneurs. La direction des comédiens, on ne le lui enlèvera pas, a toujours été le point fort de Cédric Klapisch.
On peut regretter, çà et là, quelques clichés psychanalytiques introduits à mi-parcours par les personnages de Camille Cottin et de François Berléand, mais ceux-là n’enrayent aucunement la mécanique générale.
3 étoiles sur 5
Pierre Marcellesi – Boulevard Voltaire