L’âge d’or du pastel est le XVIIIe siècle où il est associé au caractère raffiné de l’ameublement. Il n’est pas pour autant tombé en déshérence par la suite. Une exposition du musée d’Orsay avait montré la continuité de la pratique au XIXe (Présent du 25 octobre 2008), celle qui commence au Petit Palais confirme que chaque mouvement pictural l’a cultivée. Tirés des réserves, 130 pastels sont donc à voir avant qu’ils retournent s’y protéger de la lumière.
Le pastel, agglomérat de pigments sous forme de bâtonnet, a simplifié la vie des peintres qui l’ont utilisé en plein air, mais aussi en voyage. On ne s’étonnera donc pas de voir Vigée-Lebrun emporter des pastels dans sa malle d’exilée. Plusieurs de ses portraits à l’huile ont été réalisés d’après de fraîches études au pastel (La princesse Radziwill, vers 1800-1801). Mais la fraîcheur du pastel n’est jamais acquise. Certains artistes sont passés à côté avec constance, comme Auguste Leloir et ses sinistres études pour des peintures religieuses murales où rien ne subsiste de la particularité du pastel, ou Léon Riesener qui l’emploie comme de la peinture à l’huile, exacerbant la joliesse (autant dire la laideur) d’une enfant en robe rose, poupéifiée.
Les naturalistes ont trouvé dans le pastel l’inverse de ces roseries si caricaturales que le mot a fini par caractériser le douceâtre. Léon Lhermitte l’emploie pour parler de la vie rurale, avec succès (La moisson, 1897 ; Chez les humbles, 1913, où le Christ dit le bénédicité au milieu d’une famille). Albert Bartholomé sait tirer des bâtonnets de la rudesse (Tête de mendiante, 1882). Des artistes aussi peu connus que Nozal, Iwill, les utilisent pour « peindre » des effets de soleil, de neige… Quant à Steinlein, il les manie avec causticité (La sortie des midinettes, 1907).
Les impressionnistes et apparentés se sont à leur tour approprié le pastel. On laissera de côté les portraits de Mary Cassatt, emblématiques du pastel poupard. Parlez-moi plutôt de Berthe Morisot : une femme, deux enfants et un chien composent Dans le parc, ce grand pastel si simple apparemment avec des verts, du noir, des touches de blanc (vers 1874)… Mais quelle composition pensée, originale. A cette génération, Edgar Degas est le maître pastelliste par excellence. Nombre de ses femmes à la toilette ont été réalisées au pastel. Le Petit Palais n’en a pas à nous montrer, juste une esquisse de danseuse : c’est dommage.
Mondanités ou poésie
A la fin du XIXe, la bourgeoisie apprécie la portraiture au pastel. Cela vous a un côté raffiné. La veine sera exploitée par quelques artistes. Elle est plus commerciale qu’artistique. Alignons les Tissot, les Léandre, les Vidal, les Marnef, rien n’émeut, rien ne touche, rien ne surprend. Que du portrait veule, du nu équivoque (ce que Gauguin appelait « le demi-nu »). L’inspiration est absente, la technique minaude : le pire de ce que le pastel peut donner.
Lévy-Dhurmer est classé parmi les symbolistes : limite de l’étiquetage, il est avant tout un mauvais artiste. Rien de la poésie qu’on est en droit d’espérer quand on parle de l’école symboliste ne transparaît chez lui. De la poésie frelatée n’est déjà plus de la poésie. La poésie, elle est chez Odilon Redon qui trouve dans le pastel un moyen d’expression qui n’est qu’à lui, que ce soit pour la touche ou les harmonies, avec des effets de lumières signés. Peu importe qu’on soit en présence d’un vieil ange ou d’un sphinx ailé, le mystère est là. Odilon Redon est une sorte de Gustave Moreau d’un ciel supérieur, aussi mystérieux quand il peint Le Christ du silence ou une Naissance de Vénus, pas moins étonnant quand il arrange dans un vase bleu des anémones, des lilas.
- L’art du pastel de Degas à Redon. Jusqu’au 8 avril 2018, Petit Palais.
Tableau en Une
Léon Lhermitte, La moisson. Les lieuses de gerbes, 1897. Pastel. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais © Petit Palais / Roger-Viollet