Souvent Chirac varie… Dans son dernier ouvrage Guy Baret, écrivain et ancien journaliste au Figaro, s’est attaché aux déclarations de Jacques Chirac en les commentant avec pertinence et humour. Or le recueil de « petites phrases » d’un homme politique permet de dessiner un portrait par touches légères et, finalement, de le cerner bien mieux que ne le ferait une lourde biographie à l’américaine – pour l’excellente raison, déjà, qu’on ne la lirait probablement pas.
On découvre au fil des pages, sous les apparences d’un homme tout d’une pièce, ayant son franc-parler et grivois à l’occasion (c’est ainsi qu’a toujours voulu apparaître celui qui fut président des Français de 1995 à 2007), un personnage plutôt retors, qui dit souvent d’un ton très assuré… n’importe quoi. Comme beaucoup de ses congénères, il fait des déclarations qui n’engagent que ceux auxquels il s’adresse : « Un homme politique ne démissionne pas », déclare-t-il en juin 1976 (cité p. 58), mais il quitte son poste de Premier ministre de Giscard un mois plus tard.
Guy Baret nous rafraîchit la mémoire. Il nous rappelle entre autres l’admiration quasi exclusive de Chirac pour les arts précolombiens ; son refus de participer à l’équipée de Bush en Irak (« On n’exporte pas la démocratie dans un fourgon blindé »), mais son enthousiame lors de la chute de Saddam Hussein, pourtant son « ami personnel » ; son intérêt pour l’agriculture (il demeure l’un des seuls ministres de ces dernières décennies à avoir laissé un bon souvenir aux agriculteurs), avec une évolution, au fil des années, passant du soutien à l’agriculture intensive à des positions plus « écolo » ; ses attaques répétées contre l’Etat français (« La folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français ») et sa hâte à commémorer la rafle du Vel d’Hiv dès le 16 juillet 1995, au lendemain de son élection. Le plus grave enfin, Chirac reste dans l’histoire du pays, à notre grande honte, celui qui a prôné « les racines de l’Europe autant musulmanes que chrétiennes » (9 novembre 2003) et qui répondait à Fillon lui rapportant, en 2004, l’inquiétude des Français quant à l’entrée d’un pays musulman dans l’Europe : « Vraiment les Français sont c… Ils n’y comprennent rien ! Il faut faire de la pédagogie. » Avec le recul et l’évolution de la situation, on appréciera…
Chirac, qui savait combien les bains de foule étaient importants (« Dans une campagne, il faut aller chercher les électeurs avec les dents »), faisait preuve d’à-propos à l’occasion. Le jour où un homme s’est avancé vers lui en le traitant de « connard », le Président lui a immédiatement tendu la main en souriant : « Enchanté, moi c’est Chirac. » On mesure la différence avec Sarkozy, à qui n’est venue à l’esprit qu’une injure grossière dans les mêmes circonstances.
Si l’on veut tirer une leçon de la lecture de cet ouvrage qui apprend beaucoup tout en divertissant, c’est qu’un homme politique doit avoir foi en lui surtout, et qu’il ne doit jamais abandonner le combat, même quand le sort lui paraît contraire. Chirac a été une bête de scène en ce domaine !
Les citations et les commentaires souvent ironiques qui les accompagnent éclairent bien d’autres facettes du personnage, beaucoup plus complexe qu’il ne voulait le paraître.
Chirac, entre perles et culture, Editions du Moment, 176 p., 17,95 euros.
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