Cet été, “Mediapart” révélait que les chiens de l’ancien chef de l’Etat s’en étaient pris au mobilier, datant de Napoléon s’il vous plaît, du Salon argent de l’Elysée. Mais qui va régler la note ? Sarkozy peut-il se défiler ? La très sérieuse revue de droit “l’AJDA” a décidé de répondre à ces questions via un article qui mêle érudition et humour. Un véritable petit bijou.
On ne lit pas assez les revues de droit, et notamment l’AJDA, l’Actualité juridique du droit administratif. A tort. Dans la dernière livraison de cette vénérable publication, éditée par la maison Dalloz, Philippe Yolka, professeur de droit public à l’Université de Grenoble, signe un article aussi savoureux que documenté sur un épisode fameux de la présidence Sarkozy.
Après avoir rappelé la vocation du Mobilier national, ce service du Ministère de la culture « chargé de garnir les résidences des princes qui nous gouvernent », l’éminent juriste entre dans le vif du sujet. « D’après une information révélée en juillet par Mediapart, largement relayée et non démentie depuis lors, écrit-il, les chiens de l’ancien président Nicolas Sarkozy – qui ont visiblement de l’estomac et les dents longues – se seraient ainsi aiguisé les crocs sur des éléments précieux du Mobilier national, quand leur propriétaire occupait l’Elysée ; en l’occurrence, sur ceux du Salon d’argent, joyau de l’Empire transmis à la République, celui-là même où Napoléon signa son abdication (et où, accessoirement, l’inimitable président Félix Faure rendit son dernier soupir en galante compagnie). L’histoire ne dit pas si c’est un soir de Bérézina électorale que s’est manifestée pareille férocité, digne du Sarcosuchus imperator (redoutable saurien préhistorique). Ça n’a rien d’impossible, tant la méchante humeur des canidés dénonce en général le mauvais poil du maître (« On n’est jamais trahi que par les chiens », écrivait Alphonse Allais). »
Le professeur de poursuivre : « Cet horrifique épisode a de quoi faire légitimement grogner le contribuable. Les frais de restauration – si l’on ose l’expression – s’élèvent à une coquette somme, qui se chiffrerait en (nombreux) milliers d’euros. Or, l’ancien président n’a, semble-t-il, aucune intention de régler la facture (et seuls des farceurs proposeront que l’UMP l’acquitte). Autant dire que l’Etat risque d’avoir un mal de chien à rentrer dans ses frais. »
En spécialiste averti du contentieux administratif, Philippe Yolka s’interroge alors sur les conséquences juridiques d’un tel vandalisme. Et pose la question qui fâche : « Pourquoi un ancien chef de l’Etat – actionné au civil, voire au pénal dans une hypothèse de ce genre – ne devrait pas personnellement mettre la main à la poche ? Si des plaintes ont déjà été déposées pour disparition d’objets (une vingtaine concernerait Matignon), on ne voit pas pour quelle raison il en irait autrement en cas de dégradation, sachant que le code pénal offre une base de poursuites (C. pén., art. 322-3-1) et que la réitération de telles incivilités n’incite pas à faire comme si de rien n’était (un canapé sis place Beauvau aurait subi le même sort, en d’autres temps). »
L’ouverture d’une telle action, reconnaît toutefois l’auteur, supposerait que soit tranchée un autre épineuse question : « l’immunité du président de la République à raison des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions s’étend-elle aux forfaits des molosses du Palais ? » Et de conclure, avec la même verve : « Il y a là, pour la doctrine constitutionnaliste, un bel os à ronger. » On connaissait les casseroles de Nicolas Sarkozy. Ne manquaient que les gamelles.