Au coeur du volcan de Maxime Tandonnet

– En charge des dossiers sensibles de l’immigration et de la sécurité à l’Élysée entre 2007 et 2012, Maxime Tandonnet raconte les coulisses du pouvoir dans Au coeur du Volcan qui paraît cette semaine. Pour FigaroVox, il revient sur ses cinq ans avec Nicolas Sarkozy.. Il est haut fonctionnaire, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République et auteur de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Son dernier livre Au coeur du Volcan, carnet de l’Élysée est paru le 27 août.

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Vous avez passé 4 ans à l’Elysée en tant que conseiller du président de la République en matière de sécurité et d’immigration: un poste particulièrement sensible et exposé. Quels souvenirs marquant gardez-vous de cette période? Que ressent-on lorsqu’on est au cœur du volcan?

Maxime Tandonnet: J’ai longuement hésité à publier ce livre. L’idée qu’il puisse contribuer à l’histoire d’un quinquennat et à l’information du public sur la réalité du pouvoir politique a emporté ma décision. Les souvenirs marquants abondent et on les retrouve dans ces carnets. Je me souviens notamment du déplacement en Charente maritime et en Vendée, dans les terres dévastées par la tempête Xynthia ayant fait une cinquantaine de morts et de la rencontre entre un chef d’Etat et ses compatriotes plongés dans le malheur et le chaos. Comment trouver les mots en pareilles circonstances? Etre au coeur du volcan n’est pas spécialement agréable. On connaît des moments de grande fierté, au début. Puis, sous la pression intense des événements, on finit inconsciemment par culpabiliser, prendre sur soi tout ce qui ne va pas dans le pays, des choses sur lesquelles on a peu de prise en réalité, et en souffrir. L’Elysée, même pour l’entourage, n’est pas la maison du bonheur…

Avec le recul, quel bilan tirez-vous de l’action de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité et de maitrise de l’immigration? A-t-il pu réellement mener sa politique à bien?

Son action s’est traduite par de nombreuses réformes très importantes, par exemple le rapprochement police-gendarmerie au ministère de l’Intérieur, la police d’agglomération parisienne, la «loi anti-bandes» en 2009, pénalisant le seul fait d’appartenir à une bande armée. Le sujet est complexe, on ne peut le traiter que par un travail de fond, pierre après pierre et sur le long terme. Tous ceux qui y ont été confrontés le savent. D’où le décalage bien compréhensible avec l’attente de l’opinion. Sur l’immigration, de nombreuses mesures ont été prises et des résultats obtenus, contrairement à la caricature véhiculée par les oppositions de gauche et de droite radicale. Par exemple, la signature d’une quinzaine d’accords de gestion de l’immigration avec les pays d’origine, destinés à favoriser la circulation des personnes tout en luttant conjointement contre l’immigration illégale et en favorisant le développement dans les pays sources. C’était un pas décisif dans la bonne direction. A l’expérience, je trouve que l’immigration est un sujet qui devrait être sanctuarisé de la polémique politicienne et faire l’objet d’un consensus, d’un accord entre les partis par delà le clivage droite gauche sur des bases simples et évidentes telles que la condition d’un travail et de conditions de logement dignes de ce nom pour venir s’installer en France.
En 2008, sur décision du président, j’ai été l’un des principaux acteurs d’une opération visant à faire venir en France 500 familles de chrétiens d’Irak menacés de mort pour leur donner l’asile en France. Là, j’ai eu le sentiment d’avoir contribué à sauver des vies.

Vous-même en tant que conseiller, avez-vous eu le sentiment d’influer sur la vie des Français?

Je participais au travail d’une équipe, préparais les dossiers, les discours, animais le travail législatif et réglementaire et n’avais donc pas le sentiment d’influer directement sur la vie des Français, sinon à travers le bilan général d’une politique. Une fois j’ai eu le sentiment d’un impact dFrect et immédiat de mon action. En 2008, sur décision du président, j’ai été l’un des principaux acteurs d’une opération visant à faire venir en France 500 familles de chrétiens d’Irak menacés de mort pour leur donner l’asile en France. Là, j’ai eu le sentiment d’avoir contribué à sauver des vies.
Dans un passage marquant de votre livre vous décrivez la visite nocturne de Nicolas Sarkozy à la Courneuve, «J’ai l’impression de me trouver dans un pays en conflit, de vivre une scène de guerre en Irak». Les forces de l’ordre ne peuvent plus entrer dans certains quartiers. Comment en est-on arrivé là dans un état de droit?
C’est la pensée qui m’est en effet venue sur le moment, même si l’image peut paraître excessive avec le recul. Les quartiers sensibles sont probablement le résultat de plus d’un demi-siècle d’aveuglement ou d’hypocrisie. On a laissé peu à peu se constituer des enclaves sur le territoire français livrées à l’exclusion, un chômage massif, de près de la moitié des jeunes, l’échec scolaire, le sentiment d’abandon, parfois la violence, le non droit et le repli identitaire. La société française voudrait bien en faire abstraction mais il suffit de parler avec les élus des quartiers, les travailleurs sociaux, les policiers ou professeurs des collèges pour réaliser la gravité de la situation. Beaucoup de politiques sont conduites pour tenter de traiter ce sujet. Dans un pays en crise, c’est extrêmement difficile par manque de moyens. Mon livre montre aussi des côtés positifs et les contacts du chef de l’Etat avec des habitants qui attendent que la République leur tende la main.
Le sentiment de l’impuissance publique pèse en permanence sur les épaules d’un acteur du pouvoir politique.

A la lecture de votre livre, on a le sentiment que l’Etat est finalement impuissant face à ces questions. Malgré le volontarisme de Nicolas Sarkozy et la multiplication des projets de loi, la plupart des initiatives n’aboutissent pas. Quels sont les principaux obstacles auxquels vous vous êtes heurtés? Sont-ils de nature institutionnelle, politique? S’agit-il tout simplement de la chape de plomb du politiquement correct?

En effet, j’ai été impressionné par la puissance des obstacles à l’action publique, pas seulement sur la sécurité d’ailleurs. Le sentiment de l’impuissance publique pèse en permanence sur les épaules d’un acteur du pouvoir politique. Les causes en sont multiples: la situation budgétaire calamiteuse, la prolifération des jurisprudences, constitutionnelles, européennes, qui limitent énormément le champ des décisions possibles, formant un étroit carcan, le climat de conservatisme et d’inertie générale. Un exemple sur lequel je reviens longuement dans le livre. Le président demandait avec insistance la nomination de 50 inspecteurs des services fiscaux, auprès des policiers dans les quartiers touchés par le trafic de stupéfiants afin de traquer les signes extérieurs de richesse. Il lui a fallu plus d’un an pour y parvenir et cette mesure s’est avérée décisive. Pour faire bouger la réalité, il faut une extraordinaire patience et détermination.
Les juridictions ont-elle une part de responsabilité dans cette situation? Laquelle?
Il me semble que nous vivons dans des sociétés où les contre-pouvoirs, en particulier celui des grandes juridictions, les cours suprêmes, l’emportent globalement sur le pouvoir politique. Il faut bien entendu des contreparties et des contrôles face au pouvoir politique mais lorsqu’un certain point d’équilibre est franchi, on tombe dans la paralysie et tous ceux qui ont expérimenté le coeur du volcan le savent. Il y a les choix politiques qui sont censurés par le conseil constitutionnel, comme la taxe carbone en 2010. On peut s’en réjouir au cas par cas sur certains dossiers, mais sur le long terme, c’est l’autonomie et la marge d’action du pouvoir politique qui ne cesse de se restreindre. En outre joue la force de l’autocensure car le travail de préparation de la décision politique consiste à anticiper en permanence sur la réaction des juridictions. Cela pose le problème dramatique de l’avenir de la démocratie, du pouvoir réel du Parlement élu au suffrage universel qui en est le coeur.
J’ai été le témoin privilégié de la mesquinerie qui s’attache à la proximité du pouvoir

Regrettez-vous que Nicolas Sarkozy ait refusé de recourir au référendum pour surmonter ces blocages?

Ce n’est pas évident, car l’outil est très délicat à manier, avec des risques qu’il se retourne contre vous dans les périodes d’impopularité… Il ne peut pas être d’un usage quotidien en tout cas. Le pouvoir politique dispose d’outils pour faire avancer les décisions, le référendum, certes, mais aussi les ordonnances et la possibilité dans certaines circonstances, de modifier la Constitution pour surmonter les obstacles de la jurisprudence. In fine, c’est la volonté politique, qui doit l’emporter, celle des pouvoirs élus au suffrage universel. Sinon, je ne vois pas bien où nous allons…
A travers votre livre vous revenez également sur le discours de Grenoble qui vous avez été injustement attribué. Que s’est-il réellement passé? Avez-vous eu le sentiment de servir de bouc-émissaire dans cette affaire?
Non, le terme de bouc émissaire est bien excessif. Il y a eu ces dernières années en France des phénomènes de lynchage public de personnalités infiniment plus violents que ma propre mésaventure… Cependant, c’est vrai, j’ai été le témoin privilégié de la mesquinerie qui s’attache à la proximité du pouvoir. A la suite de ce discours ayant fait scandale, mon nom a été livré à la presse, par une personne de l’Elysée, et j’ai été désigné comme responsable de la polémique, alors que je n’y étais absolument pour rien en tout cas dans les aspects les plus explosifs du discours comme l’idée de «déchéance de nationalité» pour les meurtriers de policiers et de gendarmes. Mais le plus incroyable, c’est que 8 mois plus tard, l’entourage présidentiel m’a demandé de quitter l’Elysée au prétexte que ma présence, emblématique, était devenue encombrante dans une optique de recentrage de l’image présidentielle… Pareille mésaventure, sans grande importance en soi, reflète un climat délétère dans les allées du pouvoir qui n’est pas propice au service de l’intérêt général. C’est pourquoi je l’ai narrée et regrette nullement de l’avoir vécue: ce qui ne tue pas rend plus fort.
L’action sur le réel étant de plus en plus difficile et complexe, la vie politique bascule de plus en plus dans un monde virtuel fait de communication, de polémiques, d’apparitions médiatiques, d’annonces, de déclarations, de coups de menton, de petites phrases, d’images, de contradictions…

Vous évoquez «un ouragan de néant déchaîné en vain». Au-delà de ce fameux discours, Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas eu trop tendance à alimenter inutilement les passions sur des sujets déjà sensibles?

Oui, c’est bien ce que j’ai ressenti, une énorme polémique qui a duré des mois et n’a débouché sur rien du tout puisque la mesure de déchéance de nationalité, de toute façon inutile, a été abandonnée… C’est l’évolution de la politique en général qui est en cause, bien au-delà du seul quinquennat de Nicolas Sarkozy. L’action sur le réel étant de plus en plus difficile et complexe, la vie politique bascule de plus en plus dans un monde virtuel fait de communication, de polémiques, d’apparitions médiatiques, d’annonces, de déclarations, de coups de menton, de petites phrases, d’images, de contradictions… Les Français ne sont pas dupes, ils se rendent compte de la supercherie et cela se traduit par des taux d’abstention massifs.
Votre livre est également un portrait en creux de l’ancien chef de l’Etat. Quels sont les aspects de sa personnalité qui vous ont le plus maqués? Avait-il selon-vous les qualités d’un homme d’Etat?
Je ne peux pas répondre à la dernière question, ayant été l’un de ses collaborateurs. Seul le recul historique permet de dire qui a montré les qualités d’un homme d’Etat. Je peux seulement témoigner, en toute sincérité, de sa passion pour le bien commun, de son envie presque obsessionnelle de faire avancer les choses et de servir les Français. Il est comme tout le monde avec des qualités et des défauts. Ceux qui l’ont fréquenté connaissent son charisme, ses qualités d’orateur, sa force d’entraînement et de conviction, son dynamisme, son extraordinaire envie d’agir et d’améliorer les choses, sa créativité, sa générosité et compassion face à la grande détresse. Ses mouvements d’humeurs sont fréquents, liés à l’agacement face aux retards et au temps perdu, mais en général sans méchanceté ni rancune.

Son retour vous apparait-il souhaitable pour la France?

Pardon, je vais répondre à côté de la plaque et vous décevoir… Je trouve que la vie politique française est beaucoup trop polarisée sur les personnes. Je trouve ridicule la course à la présidentielle 3 ans à l’avance! Cela fait partie d’un climat de manipulation générale. En tant que citoyen, je me refuse à toute logique de culte de la personnalité ou idolâtrie quelle qu’elle soit. Je suis convaincu que nul n’est indispensable. La sortie de crise dépend d’une prise de conscience générale des réformes nécessaires et de l’impulsion donnée par une avant garde. Quel visage humain doit prendre ce mouvement? je n’en sais rien! L’histoire passe, revient parfois en arrière, mais rarement. Je suis favorable à un renouvellement en profondeur du personnel politique, à l’émergence d’une nouvelle génération de dirigeants. Certes, avec la présidentialisation du régime, il faut bien que l’alternance passe par le choix d’un homme. Je ne me forgerai d’idée en 2017, que sur la base d’un programme et notamment de la volonté de réformer en profondeur les institutions politiques qui ne fonctionnent plus, ne permettent plus de gouverner, de choisir un destin commun. Dans l’hypothèse où les circonstances voudraient que Sarkozy soit de nouveau appelé à présider le pays, il me paraît évident qu’il devrait s’y prendre tout autrement, avec le recul qui sied à un chef de l’Etat, chargé de définir les grandes orientations en s’appuyant sur un Premier ministre à la tête du gouvernement du pays, responsable devant le Parlement, comme le veut la logique républicaine.

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