Histoire d’une vocation, entre Chine et France… Rencontre avec un jeune vicaire lorrain qui fête son premier anniversaire d’ordination, et ses quinze ans en France.
Le 28 juin, vous avez fêté le premier anniversaire de votre ordination. En un an, qu’est-ce qui a changé en vous ?
Difficile à résumer ! Je ne suis plus tout à fait le même, puisque le sacerdoce est imprimé au plus profond de moi-même.
Un prêtre est un instrument actif et conscient de la grâce de Dieu pour les autres. Je me laisse façonner par le ministère que Dieu m’a confié. Quand je célèbre la sainte messe ou entends des personnes en confession, je sais dans mon cœur que la réalité à laquelle je participe est infiniment plus grande que moi.
Revenons en Chine, à Pékin, où vous naissez il y a quarante-trois ans…
Mes parents sont tous deux professeurs de sciences. Ma mère, membre du Parti communiste, m’élève dans l’athéisme. Sans aucune éducation religieuse, mais dans un mélange de croyances et de superstitions traditionnelles. La civilisation chinoise est très terre à terre ; le sens du sacré en est quasiment absent.
La première fois que je me pose une question existentielle, je suis à l’école primaire. L’instituteur vient de nous affirmer que la vie est le fruit de plusieurs coïncidences. Cela me rend triste : j’aurais préféré que mon existence ait été désirée ! Cette tristesse me marquera longtemps.
Aucun contact avec des chrétiens ?
Si, à l’âge de 15/16 ans, quand, avec un copain, nous entrons dans une église, par curiosité. Une dame nous repère et nous explique les gestes, les paroles. C’est là que je vis ma première expérience du sacré. L’église est sombre. Lorsque le prêtre s’approche de l’autel éclairé, une scène de la Bible me revient : je crois voir Moïse entrer dans la tente de la rencontre dominée par la colonne de feu (NDLR : livre de l’Exode). Je suis touché.
Bien sûr, je ne raconte rien à mes parents ! Plus tard, je rencontre des prêtres chinois mais aucun ne m’oriente vers les sacrements. Je pense que, sachant que ma famille n’est pas catholique, ils se méfient.
Puis vous entrez dans une banque…
J’aime beaucoup écrire et souhaite étudier le théâtre à l’université. Mais ma mère a peur qu’après, je ne trouve pas de travail. Alors je fais de l’économie durant quatre ans. Pour entrer dans une banque où je m’occupe des relations avec les entreprises.
Épanouissant ?
Pas du tout ! Je suis malheureux car je ne suis pas moi-même. Impossible d’imaginer finir ma vie comme ça. Jusqu’au jour où je croise une collègue qui démissionne pour reprendre des études en France. Elle m’explique son parcours… Pourquoi pas moi ?
Vous quittez donc la Chine pour venir étudier en France ?
Oui. Avec l’accord de mes parents, rassurés par le fait que je reprends des études de gestion. Après trois mois de cours à l’Alliance française, je débarque donc en Lorraine, à l’âge de 28 ans.
Dès la première semaine, je pousse la porte d’une église, sans bien savoir ce que je cherche. Je parle avec une religieuse qui me lance : « Ah, vous avez 28 ans ! L’âge de saint Paul quand il s’est converti. » Sur le moment, cette phrase ne me touche pas…
Vous continuez alors à fréquenter les églises ?
Je vais souvent à la messe le dimanche. Cela me fait du bien. Je m’installe au dernier rang et je pars avant la fin, mais j’aime ce sentiment d’appartenir à une communauté. Et la parole de Dieu m’intéresse. D’ailleurs, à cette époque, j’ai toujours une Bible sur ma table de chevet. Je l’ouvre souvent à n’importe quelle page et sa lecture, surtout celle du Nouveau Testament, m’apaise. Même si je ne comprends pas vraiment ce que je lis.
C’est au moment où vous devenez veilleur de nuit que votre vie bascule…
En 2005, pour financer mes études, je prends un emploi de veilleur dans un hôtel, à Metz, en Moselle. Pendant la nuit, je lis la Bible. Un matin, la serveuse du restaurant me voit et me demande si je suis baptisé. Comme je lui réponds par la négative, elle me propose de rencontrer le curé du centre-ville. Figurez-vous que cette serveuse avait travaillé au Vatican à l’époque de Jean-Paul II.
Là, vous mettez le doigt dans l’engrenage !
Oui ! Je commence très vite le catéchuménat. Puis je rencontre le supérieur du séminaire qui, en juin 2007, m’invite à la messe des ordinations.
Au moment de la litanie des saints, quand les candidats au sacerdoce se prosternent, je vis un moment très très fort.
En Chine, j’avais étudié la finance, plutôt que le théâtre, pour avoir une vie facile et « riche ». Là-bas, je passais ma vie à « gagner ». Ce que je vois là, c’est tout le contraire. Ces futurs prêtres, allongés face contre terre, ont choisi de se donner.
Tout d’un coup, je sais comment je vais trouver le bonheur. En septembre suivant, je commence les cours de théologie ; je suis baptisé en 2008, avant d’entrer au séminaire en 2009.
Avez-vous trouvé le bonheur ?
Oui, car depuis mon entrée en catéchuménat, j’ai trouvé le chemin pour devenir vraiment moi-même. Un médiateur auprès des personnes qui veulent rencontrer Dieu. Je sais que tous ceux qui se sont trouvés sur mon chemin ont travaillé pour ceux que j’accompagne aujourd’hui. C’est cela, la communion des saints ! Vous voyez comment une petite phrase peut changer une vie… Vous vous souvenez : « 28 ans ! L’âge de saint Paul quand il s’est converti. »
Ces paroles ont été décisives, même si je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment. Quand je relis mon histoire, je vois que le Seigneur m’a ainsi parlé par la bouche des gens, à plusieurs moments. Mais j’ai mis du temps à répondre. Comme le Samuel de l’Ancien Testament que Dieu a dû appeler à trois reprises… C’est pour cela que j’ai choisi Samuel comme nom de baptême. Et Jean, comme le disciple bien-aimé de Jésus. Car je me sens aimé.