“Catholiques non chrétiens” : l’offensive s’étale!

L’offensive a commencé en sourdine dans les années 2013-2014, à la faveur de la confusion créée par (et autour de) la loi Taubira. On vit alors apparaître ceux que Mgr Daucourt [1] a nommé, en un raccourci foudroyant, “les athées pieux” : ceux qui venaient en apparence “défendre le catholicisme culturel” [2] sans partager la foi chrétienne. Démarche que les chrétiens catholiques auraient pu accueillir avec joie si elle n’avait véhiculé, en profondeur, une idée que l’on croyait disparue depuis Maurras… Idée à double fond : 1. en surface, elle postule qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour être “catholique” ; 2. en profondeur, elle suggère que le catholicisme nous protège contre le christianisme. Le jeune Maurras des années 1890 exprimait carrément l’idée 2, martelant que le catholicisme “romain” contribuait à la civilisation dans la mesure où il mettait en quarantaine le “venin révolutionnaire” de l’Evangile. Le Maurras des années 1920 s’était installé dans l’idée 1, affichant un soutien combatif à l’Eglise catholique tout en restant allergique au christianisme, coeur du catholicisme. Le Maurras de 1926, explosant de fureur contre la décision romaine de mise à l’Index, a montré le véritable visage de l’athéisme pieux : comme allaient le faire, 90 ans plus tard, les fureurs des athées pieux de 2016 contre le pape. Fureurs issues dans les deux cas du même malentendu : les athées pieux ne soutiennent que l’idée qu’ils se font du catholicisme ; et cette idée est fausse quant à l’essentiel.

Comme l’écrit Maritain à propos du maurrassisme dans Clairvoyance de Rome (1929) : “Le mal que l’Eglise a dénoncé se cachait sous mille apparences de bien, d’ordre, de restauration civile, d’intégrisme doctrinal… Aujourd’hui l’Action française elle-même se charge, non seulement par sa révolte obstinée et par ses campagnes contre le Saint-Siège, mais par des manifestations doctrinales comme le petit livre de M. Pujo, de faire voir à tous à quel point ce mal était grave, à quelle profondeur des erreurs concernant des points essentiels à la doctrine, à la morale et à l’esprit catholiques avaient pu, à la faveur de son enseignement, descendre dans les esprits…”

J’ai analysé dans ce blog le phénomène des “athées pieux” de 2016. Ce qui m’a valu des prises à partie :  ” pourquoi ne pas les accueillir ? d’ailleurs qui sont-ils ? et même, existent-ils ?”  Mais oui, ils existent ! Témoin l’interview de Michel Maffesoli citée dans ce lien (nice-provence.info). Cette interview vient de la revue Eléments, passée elle aussi (comme autrefois Maurras) de l’antichristianisme tranchant à un antichristianisme feutré, habile et plus efficace : désorienter les catholiques au lieu de les attaquer de front. Dans les années 1970, les cercles de la droite catholique avaient sonné le tocsin contre l’antichristianisme tranchant ; en 2016, une partie de la droite catholique pactise avec l’antichristianisme feutré. Ça donne la mesure du déboussolage contemporain.

Michel Maffesoli est réputé proche du sarkozysme : posture rare chez les sociologues, mais fréquente chez les athées pieux. Il est vrai que Maffesoli est un sociologue postmoderne, donc porté sur le subjectif qui permet n’importe quoi [3] : l’argumentation “maffesolienne” est dominée par “l’indifférence à peu près totale pour la question de la vérité”, disent ses confrères. Son interview sur le catholicisme et le christianisme est un symptôme de cette indifférence envers le vrai. Extraits, accompagnés de mes commentaires :

M.M. – “Le fondement même de la vie sociale est ce que [Durkheim] nomme le ‘divin social’ […]  On voit contemporainement resurgir une telle religiosité, un religieux diffus que je nomme, après Jacques Maritain, le Sacral… Voilà en quel sens ce qui est catholique, partage de rituels, d’émotions, de passions religieuses, n’est pas réductible à une doctrine chrétienne. Il y a dans le catholique quelque chose de païen, voire d’idolâtrique, dont les cultes des saints sont l’expression achevée…”

>  Mon commentaire :

  1. Citer Maritain dans ce cadre est une esbroufe alors que c’est Maritain (en 1926 et 1929) qui, le premier, a dénoncé le phénomène de la corruption d’esprits catholiques par l’athéisme pieux : et précisément à propos de Maurras, l’athée pieux par excellence.
  2. L’indifférence maffesolienne pour la question de la vérité (voire de la réalité) éclate dans sa définition de “ce qui est catholique” : sa vision du culte des saints est digne de la loge de Fouzy-les-Ridelles sous le ministère Guizot.
  3. Dire que le catholicisme n’est pas le christianisme est une absurdité. Surtout sous l’angle simili-heideggérien (le christianisme censé détruire le lien homme-cosmos) choisi par Maffesoli !  Le sociologue n’a visiblement pas lu Louis Bouyer, théologien de premier plan, dont l’oeuvre  – notamment Le rite et l’homme (1962) et Cosmos (1982) – montre comment la révélation chrétienne “convertit les représentations multiséculaires des cultures dans lesquelles elle s’enracine sans les anéantir” [4]. Convertir n’est pas refouler : c’est assumer en transcendant. A propos du mythe christianisé de Brocéliande et du Graal, par exemple, Bouyer écrit en 1986 : “Au centre de la forêt, la source atteste de la présence vivifiante, aux racines de tout être et de l’existence même, d’un monde labile et cristallin, où tout ce qui sera jamais préexiste dans l’unité d’une insurpassable, inentamable perfection. Toute la multiplicité des choses ne fera que déployer cette unité latente de la source, comme l’arc-en-ciel la lumière blanche traversant le prisme de ses eaux… En ce monde touffu, palpitant, progressif, où nous naissons et nous mouvons, où nous mourrons et nous résorberons, cependant qu’il ne cessera pas pour cela de frémir et de craquer sous la poussée de vies toujours neuves, a son modèle inexprimable… Cet autre monde, incorruptible, insécable, de pure et radieuse beauté, rayonnement immédiat de la divinité transcendante, est la fontaine inexhaustible de toute la multiple et chatoyante bonté de la vie, maternellement inépuisable.” On trouve des passages équivalents au XIIe siècle chez les scolastiques Alain de Lille et Hugues de Saint-Victor, ou chez sainte Hildegarde de Bingen… Voilà ce que pense la théologie. Que Maffesoli et les néopaïens l’ignorent n’est pas étonnant. Ce qui étonne, c’est que des catholiques de 2016 soient fascinés (inculture ?) par les néopaïens et Maffesoli.

M.M. – “..Il faut affirmer avec force qu’il y a dans ce catholicisme populaire une forte dose de paganisme…”

> Mon commentaire – Evidemment ! Mais pas dans le sens – bas de plafond – où l’entendent Maffesoli et les néopaïens. Selon eux le paganisme serait le sens caché du catholicisme. En fait (historiquement), c’est l’inverse : la révélation chrétienne vient donner sens aux mythes, intuitions des hommes nées de leur expérience du monde. “S’il n’y a de religion vraie que personnelle, intérieure et spirituelle, il est tout aussi vrai que l’homme est un esprit immergé, incarné dans le cosmos et qu’il n’existe pas isolément… Il est absolument nécessaire à l’homme, pour qu’il trouve Dieu et vive en Lui, de le rencontrer à travers son expérience du monde et de la vie avec les autres…” (Louis Bouyer, Le métier de théologien, 1979).

“Les fêtes des Rogations, exemple type de la rémanence du paganisme dans le catholicisme : ‘do ut des’, je te donne ma prière pour que tu me donnes des biens terrestres…”

> Mon commentaire – Toujours la fausse perspective. Maffesoli et les néopaïens ne comprennent pas le catholicisme :  ils voient une “persistance du paganisme” dans ce qui fut une christianisation des rites agraires. Du “do ut des” des paganismes, le rite chrétien a fait  l’attitude inverse. Il ne s’agit plus de marchander avec le divin : il s’agit, non seulement de chercher une harmonie entre les gestes humains et les lois qui régissent l’univers, mais de rendre grâce pour la Parole créatrice et salvifique, unique source de ces lois. Et ceci jaillit de la Bible “monothéiste” : ce qui réfute les élucubrations néopaïennes sur le “polythéisme de l’âme”.

Il y a eu une lente, mais importante protestantisation du catholicisme, qui a alors abandonné le latin (langue sacrée et mystérieuse) et une grande part de ces rituels magiques qui assurent la cohésion mystérieuse du vivre ensemble…”

>  Mon commentaire :

  1. Maffesoli et les néopaïens  – désormais suivis de certains catholiques – retrouvent ici le système maurrassien, dont l’un des piliers idéologiques était l’hostilité au protestantisme…
  2. …mais, de façon comique, c’est au calvinisme du XVIe siècle qu’ils empruntent l’idée des “rituels magiques” (“idolâtres”) censés caractériser le catholicisme ! Les  calvinistes jugeaient abominable cette “idolâtrie”, Maffesoli et les néopaïens la jugent admirable, mais les uns comme les autres partagent la même erreur totale quant au sens des rites catholiques. Le paysan illettré au fond de l’église d’Ars (“je L’avise et Il m’avise”) savait ce que le sociologue postmoderne et les idéologues néopaïens ignorent : qu’une idolâtrie convertie n’est plus une idolâtrie, mais que la conversion ne supprime pas l’objet de l’idolâtrie (s’il appartient réellement au cosmos) : elle le transcende en l’assumant.

“Qu’est-ce que le paganisme sinon l’ancrage dans le pays, dans la terre, en un mot la participation magique au cosmos ? Une transcendance immanente en quelque sorte…”

> Mon commentaire :

  1. Sur “l’ancrage dans le pays” : en quel sens faut-il entendre “pays” ? Que ce soit au sens germanique de Heimat (la terre natale comme monde spirituel) ou au sens de “pays historique”, Maffesoli a beaucoup à apprendre du catholicisme moderne : notamment de la “théologie du peuple” argentine à laquelle se rattache François – et de l’enseignement de ce pape lui-même. D’ailleurs Benoît XVI et Jean-Paul II, chacun à sa manière, ont eux aussi enseigné une théologie chrétienne de l’attachement au pays… Sans oublier Bouyer montrant que la Révélation, dans son développement historique, émerge “pour ainsi dire de l’historicité même de notre connaissance fondamentale du monde” (Cosmos, p. 30).
  2. Sur la “participation magique au cosmos” : cette conception de la magie est digne d’une monitrice de gymnastique New Age des années 1980. Car la magie n’est pas “participation” au cosmos. Son postulat, au contraire,  est la toute-puissance de l’esprit humain sur des entités occultes (censées résider dans le cosmos) à l’aide de techniques acquises par “science”  [5] ! Il s’agit donc d’un culte de l’illimité : chose incompatible avec le culte des limites que supposerait “l’ancrage dans le pays, dans la terre”… Voilà une incohérence chez Maffesoli. En cela il diverge tout de même d’avec les néopaïens, qui idolâtrent – quant à eux – les limites : d’où la fascination qu’ils exercent sur certains catholiques, incapables apparemment de voir la différence radicale qui sépare respect et idolâtrie

En fin de compte, ni Maffesoli ni le compagnonnage des néopaïens avec Maffesoli ne sont préoccupants. Ce qui l’est, c’est la fascination de catholiques envers les néopaïens. C’est un phénomène très récent, qui ne date que de deux ou trois ans. Il s’explique par la polarisation fiévreuse [6] de ces catholiques sur la loi du mariage “pour tous” (alors que les ravages sociaux du néolibéralisme les laissaient indifférents). La fièvre étant mauvaise conseillère, ils se sont jetés – oubliant l’essentiel – dans l’erreur d’une alliance avec des courants assez rusés pour surfer sur la vague, mais dont la seule constante sous des formes variables est la phobie envers le Christ.

Les catholiques ainsi fascinés font partie également, notons-le,  d’un front du refus face à la mise à jour de l’Eglise entreprise par le pape : libéraux économiques exaspérés par Laudato Si’ ; bien-pensants paniqués par de fausses rumeurs ; intégristes (avoués ou non) en rupture avec la Tradition vivante ; droite réac irritée depuis cinquante ans parce que l’Eglise ne lui ressemble pas…

D’où la nécessité d’une prise de conscience : catholiques autour de notre pape, reprenons la parole !

______________

[1]  évêque émérite de Nanterre (Hauts-de-Seine).

[2]  “culturel” au sens postmoderne du mot : non la culture dans son ensemble, mais les coutumes qui en découlaient plus ou moins.

[3]  cf. l’article-pastiche ravageur publié en 2015 dans la propre revue de Maffesoli par deux sociologues anti-maffésoliens : “Automobilités postmodernes”. Extrait : “Ainsi la masculinité effacée, corrigée, détournée même de l’Autolib’ peut-elle (enfin !) laisser place à une maternité oblongue – non plus le phallus et l’énergie séminale de la voiture de sport, mais l’utérus accueillant de l’abri-à-Autolib’..” Etc… D’où l’éclat de rire général (Le Monde 10/3/2015) et la démission de Maffesoli du poste de directeur de la revue, qu’il avait fondée.

[4]  Marie Hélène Grintchenko, Une approche théologique du monde :Cosmos’ du P. Louis Bouyer (Bernardins, 2015).

[5]  Apulée, De la magie (IIe siècle).

[6]  Bien entendu il fallait s’opposer à cette loi (pour des raisons d’ailleurs partageables par les incroyants). L’erreur – mère de toutes les dérives – était de ne plus penser qu’à ça… C’est ce que l’épiscopat a tenté de faire comprendre par son sang-froid. Ce qui lui a valu des insultes.

Patrice de Plunkett – le blog

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