Dans les années 1920, la littérature s’intéressait aux riches personnes. Elle se délectait de leur patrimoine quasi-onirique et de leurs tourments sentimentaux. Aujourd’hui, les écrivains prônent l’abstinence et la repentance, question d’époque. Le chiche a remplacé le chic. La réussite sociale fait tellement d’envieux. Les romans actuels débordent de bons sentiments et de niaiseries humanistes à pleurer. Le courrier du cœur a balayé la tragédie des existences trop faciles.
Les beautiful people de l’entre-deux-guerres
Avec L’Homme à l’Hispano, c’était à bas le misérabilisme et avis de grand luxe sur la Côte basque. Le roman a d’abord été publié en feuilleton dans La Petite Illustration en 1925, puis la même année, en un seul volume aux Editions Émile-Paul Frères. Cette romance teintée d’amertume, hésitant entre un numéro de Nous deux et une pièce de Racine, à la fois mélo et cependant jamais démago, est l’œuvre de Pierre Frondaie (1884-1948), de son vrai nom René Fraudet. Ce rejeton de la bourgeoisie, né d’un père antiquaire et d’une mère sosie d’Ava Gardner version Belle Époque, a partagé les bancs de l’école avec Sacha Guitry. Les beautiful people de l’entre-deux-guerres sont sa seconde famille. Il s’est ainsi créé un personnage flamboyant, dînant chez Maxim’s ou à la Tour d’Argent et séjournant au Danieli à Venise, au Pierre de New-York ou à l’hôtel George V à Paris au gré de ses humeurs.
La parution de cette histoire d’amour forcément contrariée va connaître un succès sans précédent. Traduit en quinze langues, adapté par deux fois au cinéma, en 1926 par Julien Duvivier et en 1935 par Jean Epstein, fascinant jusqu’aux Amériques, ce livre fut même édité en poche après la guerre. Depuis quelques années, il était pourtant introuvable. Chez les bouquinistes, on tombait parfois sur des exemplaires fatigués de la « Collection Pourpre » ou « J’ai lu ». L’Éveilleur, toujours à la recherche de pépites oubliées, a remédié à cette lacune en accompagnant sa reparution des illustrations d’origine signées Léon Fauret et d’une préface de Laure Bjawi-Levine, anthropologue à l’université Santa Clara de Californie, propre nièce de Frondaie.
L’Homme à l’Hispano s’appelle Georges Dewalter. Héros déclassé, il débarque à Biarritz au volant d’une Hispano qui ne lui appartient pas et tombe sous le charme de Stéphane Oswill, une lady mal mariée. Dans l’aisance matérielle et l’inconfort intellectuel, cette jeune femme n’attendait plus son prince charmant. Quelques jours auparavant, ironie des rencontres, dans un train censé l’amener à Dakar, Georges avait confié son infortune à un voyageur anglais, Sir William Meredith Oswill, l’époux de Stéphane. Dans cet engrenage infernal, tiraillé entre l’envie de tout avouer à sa belle aristocrate biarrote et la peur de la perdre, il se débat dans ses mensonges sous le regard amusé et cruel du mari. Il a pour seul confident, Montnormand, un vieux notaire qui veille sur lui depuis l’enfance et le considère, malgré ses échecs, comme un « grand seigneur ». « S’il n’avait pas été ce que je dis un seigneur, il ne serait pas un raté. Mais les ratés, quand ils sont honnêtes, quand ils ne sont pas jaloux, sont peut-être ce qu’il y a de plus propre dans l’humanité. Ils ont souvent bien des dons. Il ne leur manque que la férocité qui fait les grandes réussites », déclare-t-il à l’anglais dédaigneux.
Amour, gloire et Hispano au programme de cette virée sur le littoral Atlantique, dans les riches palais d’Oloron où les fêtes étincelantes animent la belle saison et où l’argent, son abondance ou son absence, brouille les cartes d’un impitoyable jeu de société.
L’Homme à l’Hispano, Pierre Frondaie, L’Éveilleur.