Un tel événement ne s’était pas produit depuis 1940. Samedi 27 avril, la Sainte Coiffe de Cahors a été apportée en procession de l’église Saint-Barthélémy à la cathédrale Saint-Étienne, où elle pourra être vénérée dans son magnifique reliquaire à l’occasion du 900e anniversaire de la cathédrale.
Le site officiel de l’événement l’appelle « le chaînon manquant du puzzle sacré du saint Linceul de Turin » : « Elle fait partie des linges rituels de l’ensevelissement dans la tradition hébraïque : les Juifs couvraient le chef du mort avec un linge conforme au volume de la tête et servant également de mentonnière […] ayant pour fonction de tenir fermée la mâchoire que la mort et surtout pour le Christ, la torture, avaient laissée affaissée. » Les taches de sang sur la Coiffe répondent aux parties blanches du suaire.
Pour certains, Charlemagne en a fait don en 804 à Ayma, évêque de Cahors. Pour d’autres, Géraud de Cardaillac, autre évêque de Cahors, l’a rapporté de Terre sainte au début du XIIe siècle.
Comme la région, elle a souffert des vicissitudes de l’histoire : en 1580, au cours du sac huguenot de la cathédrale, elle part, tel un « vulgaire chiffon », dans le ruisseau, mais est sauvée par une mendiante.
À la Révolution, alors que la cathédrale sert d’écurie, elle est jetée avec les ordures ; un clerc réussit à la récupérer.
Jusqu’en 1960, pour la Pentecôte, l’évêque la présentait à la dévotion des fidèles du haut de sa chaire. La tradition s’est éteinte.
Pourtant, ce cortège qui s’ébranle dans les petites rues moyenâgeuses, accueilli d’église en église par un porche fleuri et de nombreux badauds ébahis, puis qui longe le Lot et ses jolies maisons en surplomb, semble faire partie du décor. Ses tout-petits chargés de rameaux, ses enfants de chœur, ses curés en aube ou surplis, ses évêques mitrés, ses chevaliers du Saint-Sépulcre dans leur mante frappée de la croix de Jérusalem, sa garde d’honneur toute de pourpre vêtue portant la lourde châsse, et la foule des 2.000 fidèles, enfin, chantant et priant, menée par les 33 bannières évoquant la passion, émeuvent et fascinent comme une vieille gravure qui aurait soudain pris vie.
« C’est un moment important très ouvert qui permet à chacun de participer avec des motivations religieuses ou culturelles », affirme Monseigneur Camiade, l’évêque local, dans son laïus. Nul n’est forcé de croire – pas même les catholiques – à l’authenticité de la Sainte Coiffe. Reste que l’on entend résonner ces fortes paroles du père Serge Bonnet (Défense du catholicisme populaire, Éditions du cerf) qui s’attristait, dans les années 70, de la disparition de ces cérémonies : « Nous ne comprenons pas que c’est à travers des processions, c’est à travers des dévotions qui nous semblent dérisoires, c’est à travers des croyances qui nous semblent de nos grands-mères que des hommes s’expriment et veulent manifester un certain souci de trouver Dieu et de s’affirmer catholiques. »
Dire qu’il y a quelques mois, un « spécialiste de la communication commerciale » proposait d’instituer « une Saint Glinglin » afin, d’un jour au moins, dynamiser les centres-villes moribonds, se souvenant sans doute que le sommet de l’activité, jadis, était la fête votive… Mais pourquoi choisir un faux saint au nom un peu crétin quand le moindre patelin a le sien, oublié, se tournant les pouces au paradis puisque personne ne songe à l’invoquer… pour repousser, par exemple, la prochaine fermeture d’un commerce de proximité à la Saint-Glinglin.
Ce n’est pas par hasard ni par pure charité chrétienne que la ville, l’État et toute la société civile se sont associés au diocèse pour fêter les 900 ans de la cathédrale. Saint Étienne et sa Sainte Coiffe sont à Cahors ce que Notre-Dame et sa Sainte Couronne sont à Paris. La France périphérique ne veut pas mourir ? Garder son âme est encore le meilleur moyen de s’en sortir.
Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire