Rose Marine de Marie-Pierre Bourgeois

Comment expliquer le tournant du 1er mai 2011 quand Marine Le Pen intègre les « homosexuels » comme catégorie dans son discours ?

Il y a plusieurs raisons. Louis Aliot, le compagnon de Marine Le Pen, explique que lorsqu’elle a pris la tête du parti, elle a constaté qu’il y avait de plus en plus d’homosexuels qui rejoignaient les rangs du FN, motivés par leur « peur » de l’islamisme. « Les homos se sont rendus compte qu’il y avait moins de péril à vivre avec Marine Le Pen qu’avec les musulmans », m’a-t-il dit. La deuxième explication, c’est qu’elle a été la directrice de campagne officieuse de son père en 2007. Elle a constaté que ceux qui votaient pour le FN étaient les populations périurbaines et rurales et les moins diplômées. Quand elle est devenue la présidente du parti, elle a rapidement eu en tête d’élargir coûte que coûte son socle électoral. La communauté LGBT représente 6,5% des personnes en âge de voter. C’est donc un véritable enjeu politique de parvenir à séduire ce segment. Mais au-delà, Marine Le Pen cherche également à séduire les urbains et les plus éduqués qui peuvent être sensibles à ce discours de défense des valeurs libérales. Enfin, cela lui permet de prendre ses distances avec la vieille garde du parti comme Bruno Gollnisch. Ces clins d’oeil lui permettent d’incarner une certaine modernité au FN, loin des sorties homophobes et antisémites.

Marine Le Pen fait-elle exprès de recruter des collaborateurs qui ont un passé dans la communauté gay ? Je pense par exemple à Julien Odoul, qui avait même fait la couverture de TÊTU à une époque où il n’était pas encore entré en politique…

Il y a tout d’abord un phénomène de cercles concentriques. Un politique aura plus envie de recruter un collaborateur qui lui ressemble. Pour ce qui est de Marine Le Pen, non seulement elle dirige le parti, mais elle anime aussi les fêtes du FN : elle aime chanter, danser. Pour l’accompagner dans son goût pour la fête, elle préfère s’entourer de collaborateurs plutôt jeunes. Sébastien Chenu [fondateur et ancien membre de GayLib à l’UMP, NDLR] et Julien Odoul sont des symboles politiques : cela signifie qu’elle est capable de recruter des homos de droite dans son giron. Ils disent eux-mêmes entendre moins de propos homophobes au FN qu’aux Républicains. Ainsi, entre une gauche absente qui a défendu du bout des lèvres le mariage pour tous, si on se souvient de François Hollande et de ses propos sur la liberté de conscience des maires, et une droite qui était de tous les défilés de la Manif pour tous, Marine Le Pen a pu représenter un point d’équilibre. Pour Sébastien Chenu, qui a gravité dans la droite centriste avec Christine Lagarde, on peut même parler de prise de guerre. Il donne chair aux clins d’oeil réguliers que fait Marine Le Pen aux homosexuels de droite qui se sentent mal à l’aise chez les Républicains.(…)

Ses opposants au sein du parti parlent d’une « Dalida » qui serait à la tête d’une « cage aux folles »… Selon vous, Marine Le Pen entretient-elle cette image ou le fait-elle de manière inconsciente ?

Marine Le Pen a, malgré les apparences, grandi dans un environnement assez ouvert sur les mœurs : son père a épousé une femme divorcée, il connaissait très bien Jean-Claude Poulet-Dachary, l’un des plus grands travestis de la côte d’Azur dans les années 1990, bras droit du maire de Toulon après la victoire des municipales en 1995. Cet univers l’a fortement influencé. Par ailleurs, elle renvoie de façon très calculée cette image de femme forte qui n’hésite pas à se disputer avec les plus traditionnalistes pour moderniser le parti. Encore une fois, cela lui permet de montrer que le FN aurait changé depuis qu’elle est aux commandes. (…)

La place de « numéro un bis » de Florian Philippot, comme vous l’analysez, n’est-elle pas tout simplement due au fait qu’il ne fait pas partie de la famille de Marine Le Pen ?

Non, il ne s’agit pas d’un problème de dynastie : quand Florian Philippot arrive, Marine Le Pen cherche des idées. Il arrive au parti avec une grille de lecture très construite qui intéresse fortement Marine Le Pen. Il faut voir Florian et Marion comme un duo : le premier est tourné vers les plus diplômés et urbains et la seconde vers les plus catholiques et les ruraux. Marine se tient quant à elle sur cette ligne de crête en demandant à l’un ou à l’autre d’agir en fonction de ses besoins. (…)

Le milieu social des adhérents qui montent dans l’appareil du FN a l’air assez similaire… Au fil des pages, on croise énormément de noms à particule. Les gays et les lesbiennes qui adhérent au FN sont-ils tous issus de milieux bourgeois ?

Indiquons d’abord qu’il y a très peu de lesbiennes dans les sphères visibles du FN. A une exception près, Vénussia Myrtil. Elle vient d’un milieu populaire, elle est métisse et ouvertement lesbienne. En la voyant s’investir dans le parti, Marine Le Pen s’est dit que la faire monter serait bon pour son image de modernisatrice. Or très vite, la situation dérape.Elle a d’ailleurs été victime de propos homophobes extrêmement violents. Elle a beau être revenue dans le giron du FN ces derniers mois, je l’ai senti encore très touchée par les attaques dont elle avait victime de la part des plus conservateurs au parti. (…)

Vous commentez évidemment les chiffres du vote FN des homos mariés aux dernières régionales… Pensez-vous que cette adhésion massive va s’accentuer ?

Il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête. Les crispations religieuses et idenditaires sont de plus en plus fortes dans le débat public. On peut donc supposer que cette surreprésentation des homos dans le vote FN va continuer. L’intersectionnalité des luttes était plus vivace quand les homos étaient discriminés de façon très forte. Aujourd’hui, ce sentiment de faire partie d’une minorité discriminée au même titre que d’autres communautés souvent montrées du doigt a majoritairement disparu. Pour le Fhar ou encore Gai Pied, le mariage était le symbole petit-bourgeois par excellence. Se marier signifie aussi rentrer dans le moule des normes sociétales. Il devient dès lors plus difficile de se considérer soi-même comme appartenant à une minorité.

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Résumé

De l’outing de Florian Philippot, le numéro 2 du Front national, à l’arrivée de Sébatien Chenu, ancien fondateur de Gay Lib, le mouvement qui défendait les droits des homosexuels au sein de l’UMP, de nombreux événements feraient de Marine Le Pen « la nouvelle Dalida » de l’extrême droite. Au-delà des clichés, la question de l’homosexualité des proches de Marine Le Pen pose de véritables questions politiques.
Y a-t-il un «lobby gay» au sein du Front national permettant de placer ses amis à tous les postes d’importance comme le disent les proches de Jean-Marie Le Pen? Marine Le Pen serait-elle devenue dépendante de son entourage, expliquant sa position ambiguë sur le mariage pour tous? Comment un parti qui se présente comme le défenseur de la République face aux communautarismes peut-il accepter en privé ce qu’il déplore en public?
Ce qui se joue au sein du Front national sur la question homosexuelle dessine également les lignes de clivage du Front national de demain. Comment un parti qui regroupe en son sein de plus en plus d’homosexuels, face à l’homophobie qu’ils estiment montante dans les quartiers, peut-il également contenir dans ses rangs des militants identitaires très opposés au Mariage pour tous? La ligne traditionaliste de Marion Maréchal-Le Pen pourra-t-elle cohabiter avec la ligne «sociale» de Marine Le Pen dans les années à venir? Autant d’incohérences révélées par cette enquête qui pourraient pousser le parti à l’implosion et à une recomposition de l’extrême droite.

 

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